La construction de ce livre est surprenante. Gérard Noiret le signe sur la couverture et le titre « Autoportrait » au singulier semble impliquer que l’ensemble représente l’auteur. Or les premières pages sont une préface signée Christian Lachaud, qui se présente comme l’entrepreneur de l’ouvrage : une anthologie demandée par Antoine Journoy pour fêter les vingt ans des éditions « Les colosses de Memnon ». Suit effectivement une réunion de trois poètes dénommés Guy Châtelain, « né en 1983, (…) professeur de philosophie à Nancy », Viviane Ledéra, « née en 1948 (…) longtemps assistante sociale dans la région lyonnaise », et Pierre du Pontel « né en 1932, médecin (…) dans la région de Tours ». Mais où est passé Gérard Noiret ?
Lorsque l’on voit que les poèmes d’Atlantides, attribués à Pierre du Pontel, sont la reprise partielle, avec quelques variantes du livre publié par Gérard Noiret, sous le même titre, aux éditions BIPVAL en 2008, on se dit que tout le livre doit reposer sur un jeu d’hétéronymes fictifs. Pourquoi cette construction, au demeurant efficace ? Sans doute pour indiquer qu’un poète, sur une vie (« au soleil couchant »), ou même à un moment de son existence (« au soleil couchant ») n’est pas seulement « un autre » : il est plusieurs. Ni univoque ni uniforme, il est dans un mouvement de langue qui le porte le temps d’un livre, sans s’interdire qu’un autre mouvement le porte pour un autre livre. Châtelain, Ledéra et du Pontel sont des « voix dissemblables » mais « réunies par leurs vibrations autour de la basse continue (d’une) attente », celle d’un « lyrisme critiqué ».
De fait, la forme du distique, même en vers libres souples, contraint l’écriture de Châtelain. Mais c’est pour mieux serrer le col d’une mélancolie envahissante : « Il aurait fallu revenir lentement / Ignorer la raison // Apparaître comme par miracle/Ne pas soulever d’angoisse//Se tenir avec des allures de/Ne jamais savoir entrer//Ne jamais se souvenir/Il aurait fallu mais tu vois//Quelque chose d’hier/Soulève la tête et montre les dents ».
La forme est plus libre chez Viviane Ledéra, et le regard est davantage tourné vers l’autre et le quotidien d’une vie dure, sans misérabilisme. C’est simplement la vie qui use et casse. Ainsi pour cette « anonyme » : « Elle se souvient d’un tas de choses/dont elle ne souvient pas vraiment./Elle n’a tenu aucune des promesses/d’une allure qui faisait d’elle une élève miraculeuse./Maigre du visage, des bras et des jambes,/les joues aussi fripées que ses cheveux/sont en baguette de tambour, elle a perdu/ces yeux qui interrogeaient./Ils lui servent maintenant/à contempler dans la file le dos qui la précède. »
Chez du Pontel, c’est encore une autre écriture qui s’affirme, mêlant l’expérimental et l’épique dans une sorte de fantaisie imaginaire visitant des civilisations antiques disparues. Ainsi dans Juges : « Que dit le Conquérant Peu Il suggère À nous d’imaginer La promulgation// Vit-il entouré de femmes et de pâtisseries Ou sous les pierres Ou parmi les corbeaux// Nul ne sait Il dissimule Ses vœux sous la grêle Il attire l’attention par des lapsus// Que l’on caricature son visage Ou raille ses titres Ou brûle ses mannequins//Est de ses tours favoris Comme laisser maudire son nom Histoire//Que chacun sursaute Une fois au moins en plein rêve et se déclare coupable ».
La boucle est bouclée : ce livre est inclassable. Sauf à comprendre, ou accepter, deux choses : 1) le poète peut être polyphonique en un même livre, et 2) « le poème(…) est libre de tout sauf de ne pas être un poème. »
[Antoine Emaz]
Gérard Noiret – Autoportrait au soleil couchant
Editions Obsidiane, 124 pages, 15 €