" La nuit était noire à cause des nuages qui obstruaient le ciel et masquaient la
Cette nuit là, la petite ville suffoquait de tout ce qu'il y avait d'obscur et de malfaisant, d'infect et de sordide, et qui éveillé, galvanisé, mis en émoi par l'arrivée des hitlériens, se portait à leur rencontre. Des caves et du fond des ravins, on vit sortir les traîtres, les pusillanimes...Des paroles flatteuses d'apostasie mûrissaient dans l'esprit des gens faibles ; des projets de vengeance naissaient pour une querelle de commère au marché, pour un mot échappé incidemment. Les coeurs se pénétraient de cruauté, d'égoisme et d'indifférence. Les lâches, craignant pour eux-mêmes, méditaient de dénoncer leur voisin pour sauver leur propre peau. Il en fut ainsi dans toutes les villes, grandes ou petites, dans tous les pays, partout où les hitlériens posaient le pied. Un dépôt trouble remontait du fond des rivières et des lacs ; les crapauds émergaient de l'eau ; les chardons envahissaient les champs de blé...
Vassili Grossman : " Années de guerre " 1946, Editions Autrement, Paris 1993
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