Rock FM ou rock de la route ?
Pour beaucoup d’amateurs de pop music, professionnels ou non, critiques ou simples fans, le seul mot Rock FMsuffit à provoquer un ensemble de réactions allant, pour ne pas toutes les citer, de la poussée d’urticaire au dédain le plus complet. Le Rock FM c’est la compromission aux stations de radio où le formatage règne en maître absolu. Le Rock FM ou la version amenuisée, aseptisée d’un genre connu pour sa virilité extrême. Lui conférer de plus une dimension pop et le camouflet devient total. Et pourtant…
Et pourtant, le cas de Fleetwood Mac semble édifiant.
Voilà un groupe au destin bien singulier. Pour s’en convaincre, il faut passer par les chemins de traverse du web. Direction la page Wikipédia du groupe. Méthode peu orthodoxe il est vrai mais bougrement efficace. Sur cette page donc on mentionne l’existence de deux formations. Le Fleetwood Mac britannique et le Fleetwood Mac américain. La mouture anglaise représente l’un des plus beaux fleurons de la scène blues rock. Un groupe remarquable à plus d’un titre. Issus des rangs des fameux Bluesbreakers de John Mayall, ses musiciens sont tous des solistes accomplis. Ils comptent parmi eux le génial Peter Green à qui l’on doit le classique des classiques, sanctuarisé par Santana, Black Magic Woman. Jeremy Spencer, Mike Fleetwood et John McVie complètent le prestigieux casting. C’est d’ailleurs la contraction des noms des deux derniers qui est à l’origine du patronyme du groupe. Bref, sous la houlette de Green, leur blues se pare de tonalités introspectives. Remarquable donc. Mais remarquablement chiant. Enfin, surtout remarquablement peu en accord avec la logique de la pop qui consacre en ces années 67-69 les formations adeptes du songwriting. Il faut bien insister sur ce fait confirmé par les historiens du genre. Pendant les trépidantes années 60-70 deux concepts rois s’opposaient dans le cœur de la jeunesse : la jam et ses héros, les guitaristes (et dans une moindre mesure les organistes) et la pop song. D’un côté les délires instrumentaux, de l’autre l’écriture aussi précise qu’un scalpel de chirurgien. Tiraillé entre ces deux inclinations, le groupe se sépare (provisoirement).
Fleetwood Mac, version US.
Seuls rescapés de la formation originelle, Fleetwood, McVie et sa femme font une rencontre décisive : le couple de musiciens Lindsey Buckingham (!), un authentique guitariste américain, et Stevie Nicks chanteuse de son état. En 1975, il livre un premier essai concluant mais relativement mou. C’est en 1977 que le nouveau line up prouve la justesse des ses choix artistiques. Rumours arrive dans les bacs. Le succès est immédiat ! Nanti de 11 titres, l’album fait le carton plein de tubes. La formule retenue, plus efficace, leur assure une audience plus large et des ventes plus que confortables : le disque dépasse les 40 millions d’exemplaires vendus ! Malgré une pochette quelque peu datée, Mick Fleetwood en danseur filiforme n’étant pas des plus convaincant, le meilleur se trouve à l’intérieur. Nicks, Buckingham et Christine McVie se partagent l’essentiel des compositions à l’exception de The Chain qui associe les plumes de tous les membres du groupe. Comment ne pas succomber à l’évidence de chansons comme Don’t Stop, Go Your Own Way, The Chain ou Dreams ? Pour oser une analyse à la hauteur de ces compositions, nous dirons que le groupe a fusionné pop anglaise et thématique américaine. Je m’explique. Le Rock FM auquel le groupe fut longtemps rattaché vaut plus que la définition qu’on lui attribua pendant longtemps. Entre les mains savantes de Fleetwood Mac, il incarne alors le véhicule, au sens propre comme au figuré, d’une musique taillée pour l’évasion ; POUR LA ROUTE. Ecoutez ces chansons, par exemple Go Your Own Way, puis fermez les yeux. Là, vous voyez défiler devant vous cet espace infini. D’un côté le désert, de l’autre le même putain de désert. Au dessus, du bleu à perte de vue. Le tout délimité par une virgule blanche et noire, cette langue de bitume fondue par la gomme et les léchures du soleil. L’air plein et vif s’engouffre à travers les fenêtres rabaissées de votre Dodge Challenger RT 1970 d’un blanc étincelant. Vos cheveux semblent alors s’enfuir, tirés par le vent en flammèches dorées. Votre main droite s’arrache à l’attraction du volant pour tourner les boutons du poste radio, Dreams et sa torpeur cadencée emplit l’espace. Votre tête se balance, vos yeux balayent l’immensité du décor ; votre cœur bat à la vitesse d’un 6 cylindres en ligne 225 pouces cubique roulant ses belles mécaniques. Alors que la voiture avale des kilomètres et des kilomètres de paysages libres, fabuleux, repoussant à l’infini la ligne de l’horizon, quasi inatteignable, les tubes s’enchaînent. Les refrains entonnés avec conviction font bien plus que convoquer les fantômes éblouissants du mythe kerouacien ; ils les ont réveillés ! Le rire de Dean Moriarty claque à vos oreilles comme un fier étendard. On le suit, c’est un signe, un point de ralliement, un guide précieux. Pendant ce temps, la Dodge file dans un vroom rutilant qui s’évanouit ensuite dans l’immensité du désert comme les ondes marines. Don’t Stop chante Lindsey Buckingham, comment arriver à couper le contact entre le fringuant bolide et l’asphalte lissé par des années de bacchanales motorisées ? Never Going Back Again, qui parle de revenir en arrière ? C’est une course irréversible que vous vivez si intensément. Cette simple ballade folk sonne comme une pause, une parenthèse enchantée dans cette virevoltante cavalcade pop qui n’a de cesse de ne jamais cesser. Invariable est la route mais les étapes souvent diffèrent, aussi changeantes que les humeurs ou les rencontres. Vous passez de Songbird à You Make Loving Fun comme les vastes étendues planes se succèdent aux montagnes perdues dans le lointain enneigé. Ainsi va de Rumours et ses chansons radiophoniques, à la fois efficaces et mélodieuses, caracolantes et rêveuses. Malgré une durée relativement standard pour un album pop, on s’y promène à perte de vue. Mieux. ON S’Y ENGOUFFRE.
Alors, le rock FM…
Maladie honteuse de la Pop Music ou musique kilométrique ? Une chose est sûre : l’aptitude de Fleetwood Mac à transcender ses codes pour créer un style à part (entière) s’impose comme une qualité irréfutable. Quant à la formation originelle,née dans les chaudrons du blues, elle conserve malgré tout cette tradition du voyage ; le blues n’est-il pas un genre fondamentalement nomade ? On roule son baluchon, on saute dans un train et voilà que démarre l’aventure. Le versant américain du groupe n’a fait que moderniser ce trait. Les hobos bouseux/blueseux ont fait place à des voyageurs intrépides ; brillants poètes de la modernité.
29-11-2011 |
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