Au hasard d'une visite de l'Accademia à Venise, au milieu de tant d'autres tableaux (et d'une petite exposition sur Lorenzo Lotto) je découvre cet ensemble de cinq panneaux étranges, provenant sans doute d'un meuble ou d'un miroir. Les quatre premiers sont de Giovanni Bellini, et on ne s'attend guère à ce type de représentations allégoriques de sa part (même si, aux Offices, un tableau de lui est aussi nommé Allégorie sacrée), le cinquième est d'Andrea Previtali. Tous sont assez énigmatiques et on peut les interpréter de manières diverses et opposées.
Ici, il s'agit sans doute de Bacchus, dans son chariot traîné par des putti, mais ces fruits qu'il offre au jeune guerrier nu sont-ils une tentation ou une récompense ? Le jeune homme serait-il Mars ? Faut-il voir là l'allégorie de la Persévérance, ou, au contraire, du Désir, de la Tentation ?
Cette jeune femme à la robe gonflée par le vent, tenant une sphère bleue comme le monde navigue sur une barque bien instable que les espiègles putti feront peut-être chavirer (celui au premier plan se noie-t-il ?). Est-elle la Fortune ? ou serait-ce Vénus ? ou peut-être l'Inconstance ? Ces petits tableaux ont un charme extraordinaire, avec ces scénettes à la fois mythologiques, allégoriques et quasi surréalistes. Cette femme nue au miroir, dans lequel se reflète peut-être le visage du peintre, ou du regardeur, pourrait fort bien être la Vanité, ou la Vérité, ou la Prudence. Et cette scène irréelle où un homme nu jaillit d'un coquillage tenu en l'air par son acolyte, et plonge vers le sol, un serpent dans les bras, comment l'interpréter ? Bouscule-t-il un sage, un ermite, un pélerin ? Coquillage et serpent seraient des symboles de mensonge, de calomnie. La Fausseté, sans doute. Mais le coquillage est peut-être aussi un symbole de renaissance, de re-génération. Et alors ? Le cinquième panneau, de Previtali, un peu moins élégant, montre la Fortune, femme oiseau aux yeux bandés, ses pattes griffues en équilibre sur deux sphères; à moins qu'il ne s'agisse de la Tempérance ou de la Némésis.On le voit, les tentatives d'explication sont diverses et nombreuses (ce site sur le tarot les recense et les critique), mais, au fond, pas très intéressantes en face de la beauté étrange de ces petits panneaux.