Voici le texte de l'exposition qui a eu lieu le dimanche 27 novembre au 108 rue Oberkampf. Ceux qui suivent ce blog retrouveront des passages
d'articles anciens. De même les images ne sont pas nouvelles.
Une spéciale dédicace et de vrais remerciements à l'équipe du Bric à Brac !
Qui connaît aujourd'hui les petites-maîtresses et les petits-maîtres qui sont le sujet de
cette exposition : toute la jeunesse d’avant-garde, mignarde, intelligente, belle, bien facée (qui a le visage plein et une belle représentation), séduisante, galante, de bon goût, haute,
délurée, créatrice … incroyable, inconcevable, inimaginable, merveilleuse, coquette … en un mot : moderne ? Cette exposition
présente ces modeux à travers des photographies de documents d'époque des XVIIIe et XIXe siècles agrandis et imprimés sur toiles, et des habits d'époque de la première moitié du XXe siècle :
aux temps de la Belle Époque, des Années folles et des zazous. Ces tenues appartiennent à deux boutiques du quartier (rue
Moret) : Ancienne Mode spécialiste des vêtements du XIXe siècle, et Casblanca, en particulier de l'époque zazou. Un clin d'oeil est fait
à Christophe-Philippe Oberkampf (1728-1815) industriel créateur de la toile de Jouy.
COSTUME DE CARNAVAL DE DOMINO. Illustration provenant du tome second de La Vie élégante, 1883.
La période du carnaval est un moment festif important dans l'année parisienne. C'est aussi une période de transgression des codes : certaines femmes se vêtissent en homme ou le
contraire ; on s'habille d'une manière extravagante et en dehors des usages coutumiers ... On puise dans de multiples inspirations : le passé, les civilisations, le grotesque, les
animaux, la féérie … Parmi ce mélange, certains types sont récurrents comme : le débardeur, l'arlequin, le domino, le pierrot, le chicard etc.
COSTUME DE CARNAVAL D'ARLEQUINE. Autre illustration provenant du tome second de La Vie
élégante, 1883. Le carnaval de Paris est durant cinq siècles l'un des plus importants du monde. Il succède à la fête médiévale des fous qui elle-même a sans doute des origines antiques. Il
se déroule en particulier durant la période du Mardi gras, en février/mars. Cortèges, fêtes et bals masqués rythment ce moment. Celui dit de l'Opéra est le plus réputé aux XVIIIe et XIXe
siècles.
L'ÉLÉGANTE. « Toilette Florentine avec l'Élégant Chapeau des Champs Élysées. ». XVIIIe siècle. Le Dictionnaire de l'Académie française de 1798 décrit l'élégant comme
étant « un homme recherché dans son ton, ses manières et sa parure ». L'élégance, le bon goût, le bon ton, la galanterie, avoir de l'esprit … sont des éléments importants de la mode
française qui trouve une de ses sources dans l'univers courtois du Moyen-âge.
LA COQUETTE. « Jolie Femme en Circassienne de gaze d'Italie puce, avec la jupe de la même gaze couvrant une autre jupe rose garnie en gaze broché avec un ruban bleu attaché par
des Fleurs et glands et gaze Bouilloné par en bas, et des manchettes de filet, coiffée d'un Chapeau en Coquille orné de Fleurs et de Plumes. » Cette dame est du XVIIIe siècle bien que les
coquettes et les coquets soient en particulier décrits dans des textes du XVIIe. La coquette est moins intellectuelle que la précieuse mais elle est un personnage important de la mode
parisienne.
LE MERVEILLEUX.
On donne ce nom à de magnifiques jeunes gens de l'époque du règne de Louis XV (1715-1774) qui suscitent l'émerveillement. Celui-ci est de l'époque de Louis XVI
(1754-1793). Le merveilleux est dans la continuation du roué, du talon rouge, du menin, du beau-fils, du libertin, du raffiné, du mignon, du fringant et de beaucoup d'autres petits-maîtres qui le
précèdent. Il porte ici la tenue masculine caractéristique durant tout ce siècle : l’habit à la française, composé de l’habit, du gilet et de la culotte. Il a une perruque et un tricorne
(chapeau très fréquent alors).
LA PETITE MAÎTRESSE. Personnage d'une estampe provenant d'une revue de mode du dernier quart du XVIIIe siècle. On appelle (surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles) 'petits-maîtres' et
'petites-maîtresses' des jeunes gens se caractérisant par leurs habits, leurs manières nouvelles, leur élégance et leur beauté. La scène parisienne occupe alors la première place avec ses lieux à
la mode et ses élégants qui s'y promènent depuis l'Antiquité. Comme aujourd'hui, ceux-ci ont leurs lieux, manières, vocabulaire, habits …
L'INCONCEVABLE DE
1798 « dessinée d’après nature sur le Boulevard des Capucines » provenant d'une revue de mode très populaire à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe intitulée : Journal des Dames
et des Modes. Ce périodique, fondé à Paris en 1797, est celui qui témoigne le mieux du changement radical de la mode de la fin du XVIIIe siècle. La jeune fille a une coiffure dite textuellement
« en porc-épic ». Cette mode aurait été instituée en solidarité avec des condamnés à l’échafaud : cette coupe imitant celle de ces derniers ou dernières avant de passer à la guillotine.
On lui donne alors le nom de « coiffure à la victime ». A la fin de la Révolution on organise des « bals des victimes » ouverts à ceux ayant perdu au moins un de leurs proches
à la guillotine. Ceux-ci généralisent le port de robes gréco-romaines et des cheveux courts qui imitent les représentations antiques des découvertes archéologiques du XVIIIe siècle. Les coupes
courtes sont aussi appelées « coiffures à la Titus » du nom du fils de Brutus que l’acteur de tragédie François-Joseph Talma (1763 - 1826) joue avec cette coupe qu’il porte aussi en
ville. Ces nouvelles manières sont en contradiction totale avec les précédentes, et laissent le peuple pantois d'où le nom donné aux élégantes d'alors de merveilleuses ou d'inconcevables et pour
les hommes d'incroyables.
Petits maîtres du
XVIIe siècle au début du XIXe, avec en particulier en son centre une gravure de 1797 intitulée « Café des Incroyables », avec pour sous-titre : « Ma parole d’honneur ils le
plaisante » (orthographe retranscrite). Tous les incroyables sont ici affublés d’une perruque blonde (ou d’une coupe ?) 'en oreilles de chien', c'est-à-dire, comme on le voit : les
cheveux coupés sur le dessus, tombant sur les côtés, longs au dos et tressés pour être remontés derrière la tête. Certains portent des chapeaux qui sont de deux styles. Ils ont deux boucles
d’oreilles rondes et assez grandes, une cravate qui couvre le menton, une culotte, des bas avec des motifs, des souliers pointus… Ils tiennent des cannes ; ont des lunettes, des faces-à-main
ou une lorgnette. Un garçon sert du café. Le décor est de style néo-classique et le dessinateur/graveur (qui a signé RLL) s’est représenté lui-même sur la droite dans l’ombre, avec son
stylet.
OBERKAMPF. Une exposition sur une histoire de la mode dans le quartier Oberkampf (1738-1815) se devait de parler de Christophe-Philippe
Oberkampf, industriel français d'origine allemande, créateur de la toile de Jouy. Le Musée de la toile de Jouy nous a prêté quelques rééditions contemporaines de modèles de la fin du XVIIIe
siècle fabriqués à partir de dessins ou gravures de Jean-Baptiste Huet (1745-1811). Un remerciement au Musée de la toile
de Jouy qui a prêté ces rééditions.
OBERKAMPF ET LA TOILE DE JOUY Ce tissu est particulièrement intéressant. Il retrace les étapes de la fabrication de la toile
de Jouy ! La toile est d'abord lavée dans l'eau de La Bièvre, puis battue au fléau pour la débarrasser de son apprêt (1). Une fois séchée (2) elle passe à la calandre pour en aplanir le
grain. Au préalable les motifs sont gravés sur des planches de bois et à partir de 1770 sur des planches de cuivre (3). Après l'impression la toile est plongée dans un bain de bouse de vache afin
d'éliminer l'excès d'épaississant (4), puis lavée. Les toiles passent ensuite dans un bain de teinture - racine de garance - qui révèle les couleurs sur les parties de toile empreintes de
mordants. Par garançage on obtient une gamme de couleurs du rouge foncé au rose tendre, du noir au lilas, violet, bistre. Le fond de la toile devenu rosâtre, celle-ci est exposée sur les prés
pour blanchir (5). Le jaune et le bleu sont imprimés directement sur la toile. Le vert est obtenu par superposition de bleu et de jaune jusqu'en 1808. Après le travail de finition des
pinceauteuses (6), certaines pièces reçoivent un apprêt composé d'un mélange de cire et d'amidon. Il est appliqué sur la toile qui passe ensuite à la calandre à chaud. Pour satiner ces pièces on
les lisse à la bille d'agate ou de cristal fixée à l'extrémité d'un bras articulé : le lissoir (7). En 1797 un brevet écossais de 1783 est mis en application : l'impression au rouleau de cuivre.
La machine fonctionnant en continu permet la production de 5000 mètres par jour. C'est un gain de temps considérable par rapport à la planche de cuivre.
LE MUSCADIN. « Costume d'un Jeune Homme » de 1800. Son habit est caractéristique de celui d'un muscadin ou d’un incroyable. Son port est particulièrement gracieux et son
geste de la main est une manière de langage propre à ces élégants. Le terme de « muscadin » vient de « musc » : parfum à la mode chez les hommes. Au XVIIe siècle on
appelle aussi muguets les jeunes hommes sentant cette fleur. C'est à la Révolution (1789-1794) que la tenue présentée ici se généralise. Cette jeunesse rechigne à s’engager dans les armées de
l’époque et à suivre les couleurs imposées. Elle a les siennes propres, comme le noir ou le vert ; et des collets portant ces teintes font l’objet de rixes avec les sans-culottes qui veulent les
leur arracher. Les muscadins et incroyables de la Révolution s'expriment avec de nouveaux codes très modernes alors. Avec la fin des sans-culottes, l’ordre est représenté par les muscadins. Leurs
habits deviennent même ceux des militaires. Sous l’Empire, Napoléon porte des habits d’incroyable (il fréquente beaucoup les merveilleuses les plus célèbres), ainsi que certains de ses officiers
et de son armée. Leurs immenses chapeaux « bicornes » en sont un exemple, de même que les cravates hautes, les manteaux caractéristiques etc.
UN INCROYABLE ET UNE MERVEILLEUSE. La mode masculine des couvre-chefs gigantesques et très originaux du Premier Empire n’a aucun équivalent dans l’histoire de la mode des hommes ;
même les hauts-de-forme du XIXe siècle font pâle figure en comparaison. On appelle aussi ce genre d'incroyable : un 'mirliflor'. Ce couple du début du XIXe siècle est en train de danser sans
doute la valse qui est la musique à la mode à cette époque. La merveilleuse porte un habit à l'antique.
UNE INVISIBLE AVEC UN BEAU. Couple de 1806. La femme porte une capote 'invisible'. On nomme aussi invisibles les personnes qui ont ce genre de chapeau. Si la taille reste haute,
le vêtement se rigidifie et la poitrine se couvre. Le style du jeune homme est celui de l'anglomane. On appelle aussi fashionable une personne fascinée par les modes venues d'Angleterre. Le terme
de freluquet désigne certains élégants de cette période (mot utilisé encore aujourd'hui). Cette tenue masculine est celle qui prédomine pendant tout le XIXe siècle.
LE GANDIN DE 1817. « Costume de Longchamp ». En 1817 règne Louis XVIII. Le dandysme est à l'état de prémisse en France. C'est l'époque des tenues à l'élégance
militaire du calicot, du morillo ou du bolivar. On ne sait trop si le nom de gandin vient de ses gants ou du boulevard du Gand à Paris très à la mode alors. Ce nom raisonne en France comme celui
de 'dandy' Outre-Manche.
LA
JEUNE FRANCE DE 1830. A cette époque on appelle surtout jeune France ou nouvelle France, le romantique aux cheveux longs et manières passionnées. 1830 c'est aussi le temps du
dandy, de la lionne et du lion, du bas bleu et du gant jaune. La robe des femmes s'élargit et la taille est plus basse. Le corset abandonné par les merveilleuses est de retour. Les coiffures
assez hautes sont dites 'à la girafe'. Femmes et hommes arborent des cheveux bouclés sur les côtés qui peuvent être des postiches. C'est aussi le temps de larges chapeaux féminins avec de
nombreux rubans et autres jolis falbalas.
UNE COCODETTE ET UNE BICHE DE 1858. Durant le second Empire, sous le règne de Napoléon III (de 1852 à 1870) de nombreux noms désignent les petites-maîtresses : petite dame,
cocotte, crevette … Leurs acolytes sont le petit crevé (ou crevé), le gommeux (vers 1870), le fendant, le col cassé, le cocodès, le genreux, le daim … Le sport est très à la mode avec le
sportsman, la sportswoman, le gentleman du sport ou le gentilhomme du sport. C'est l'apothéose des robes crinoline, très larges. Généralement ronde, la crinoline atteint son diamètre maximum vers
1858 avant de projeter sa masse vers l’arrière. On lui associe des volants superposés, des garnitures et des effets de matières, notamment avec la naissance du style dit tapissier. Les teintures,
conséquences des progrès de la chimie, sont de plus en plus criardes. La bottine est la chaussure de l'époque. Les petites ombrelles sont des accessoires prisés lors des
promenades.
LA COPURCHIC DE 1876. 'Copurchic' désigne le suprême chic. C'est un adjectif et un nom désignant certains petits maîtres d'alors. La crinoline cède la place à la tournure vers
1869. La silhouette devient de plus en plus filiforme, et de 1874 à 1876 le pouf tend à disparaître ; mais la tournure subsiste sous l’aspect d’une 'queue d’écrevisse'. La robe, au corsage
ajusté, se dote d’une petite traîne. La tournure cambre de plus en plus les reins. A la fin du XIXe siècle la tournure est délaissée mais la silhouette reste très fine et cambrée. Le corset est
abandonné au début du XXe siècle pour un retour à l'aisance et la création du nouveau concept de vêtement pratique. Le dernier tiers du XIXe siècle est le temps du pschutteux, du grelotteux, du
faucheur, du clubman, du bécarre, du high-life, du snoboye, du koksnof etc.
On retrouve ici une partie de la bicherie du XIXe siècle, avec divers petits maîtres : gandin,
invisible, anglomane, fashionable, freluquet, nouvelle France, artiste, lionne, lion, bas bleu, gant jaune, cocodette, petite dame, cocotte, crevette, petit crevé, biche, gommeux, fendant, col
cassé, cocodès, genreux, daim, copurchic, pschutteux, grelotteux, faucheur, clubman, bécarre, high-life, snoboye, koksnof etc.
VÊTEMENTS D'ÉPOQUE :
HABIT BELLE ÉPOQUE (fin XIXe-1914) de la boutique Ancienne Mode (rue Moret). « Les robes du début
de la Belle Époque se caractérisent encore par une taille marquée alors que la tournure disparaît. De 1893 à 1897, la jupe ronde forme une cloche, répondant à d’imposantes manches gigot. En 1898,
la ligne sinueuse contemporaine de l’art nouveau, tord le corps féminin en S, jusqu’à ce que le buste se redresse progressivement à partir de 1906. Le corset impose une cambrure drastique alors
que la silhouette exige le port d’un aplatisseur de poitrine et d’une petite tournure. » Pour les hommes le complet trois pièces est de rigueur. Il est composé d’un gilet, d’un pantalon étroit et d’un
veston. « La tenue de soirée se compose d’un habit noir avec un gilet blanc, alors qu’est porté pour la première fois le smoking. […] L’homme ne saurait sortir sans canne, sans son haut de
forme ou son chapeau melon. Il arbore également des chaussures basses dotées de boutons. » (Citations des Arts Décoratifs de Paris).
HABIT DES ANNÉES FOLLES (1920-1929) de la boutique ANCIENNE MODE (rue Moret). Vers 1908, le célèbre
couturier Paul Poiret (1879-1944) supprime le corset et le soutien-gorge fait son apparition. Ce même couturier initie la ligne dite tonneau. La tenue se libère encore davantage avec Coco Chanel
(1883-1971). Durant les Années folles, toutes les audaces sont permises. Les femmes se
coupent les cheveux à la garçonne. On danse sur des musiques américaines. L'influence des États-Unis est grandissante. Montparnasse est le nouveau quartier à la mode. Des artistes du monde entier
s'y côtoient. Fini les corsets et les vêtements serrés. Plus d'entraves. C'est la
période des formes épurées, des robes courtes "Charleston" à taille basse et toujours dans la ligne 'tube', des chapeaux cloche et des silhouettes minces. La mode masculine reste assez sobre avec un peu plus d'aisance qu'auparavant.
HABITS ZAZOU (1938-1945) de la boutique Casablanca (rue Moret). Le texte sera inclus dans un prochain
article sur les zazous.
La musique était de camille885 de Youtube.
© Article LM