La chasse-galerie

Par Anne Onyme

Honoré Beaugrand
Bibliothèque québécoise
98 pages

Résumé:

J'ai rencontré plus d'un vieux voyageur qui affirmait avoir vu voguer dans l'air des canots d'écorce remplis de possédés s'en allant voir leurs blondes sous l'égide de Belzébuth.

"La chasse-galerie appartient à ce corps de textes de la fin du XIXe siècle, où des écrivains ont tâché, selon le mot fameux de Nodier, d'écouter les délicieuses histoires du peuple avant qu'il les ait oubliées." -François Ricard

Mon commentaire:

J'ai découvert La chasse-galerie à l'adolescence et c'est un texte que j'ai lu et relu depuis de nombreuses fois. J'adore cette histoire, c'est probablement l'une de mes légendes préférées. J'en aime le contexte, les festivités associées au Nouvel An, les bûcherons et le pacte avec le diable qui pèse sur l'âme de chacun des protagonistes. Cependant, je n'avais jamais lu les autres textes qui composent ce recueil. Ils sont au nombre de huit, en comptant La chasse-galerie.

Honoré Beaugrand était un journaliste et politicien canadien. Il fut maire de Montréal. Il est né en 1848 et décédé en 1906. Il a des idées très arrêtées. Il est partisan de la déclaration des droits de l'homme, franc-maçon et anticlérical, mais aussi déiste. Il croit en un Dieu, mais pas celui s'appuyant sur des textes bibliques. Il croit en ce qui est bon. Il fut propriétaire de plusieurs journaux, dont La Patrie, le journal qui embaucha Robertine Barry. Il a reçu en 1885 la Légion d'honneur française. Il a écrit plusieurs textes et contes, dont la Chasse-galerie. Aujourd'hui, une rue de Montréal ainsi qu'une station de métro portent son nom.

La chasse-galerie, dans mon édition de la Bibliothèque Québécois, c'est huit contes, tous très variés. À l'époque d'Honoré Beaugrand, les histoires que l'on raconte au coin du feu et les légendes se frottent toujours aux créatures de Satan. La religion est omniprésente dans la vie de tous les jours. Les contes s'en moquent un peu ou présentent des leçons de morale pour ceux qui ne font pas régulièrement leurs Pâques, ou ne vont pas "à la confesse". Démons, monstre et personnages issus de l'enfer sont présentés comme dangereux et tentateurs, pour les gens dont la religion représente le quotidien et où les interdits sont légion. Souvent, les personnages de ces histoires sont de mauvais chrétiens. L'alcool coule à flots autour d'eux alors que la tempérance est prônée et encouragée.

Voici donc quelques mots sur chacun des contes du recueil:

La chasse-galerie
Veille du Jour de l'An, 1858. Sur les chantiers de la Haute-Gatineau. Le cook raconte une histoire qui lui est arrivée il y a une trentaine d'années. Alors qu'une tempête faisait rage et qu'ils étaient dans les camps de bûcherons à deux mois de route de chez eux, un groupe d'hommes décide de courir la chasse-galerie pour aller embrasser leurs amoureuses. En faisant un pacte avec le diable pour faire voler leur canot d'écorce, ils risquent le salut de leur âme... Excellente histoire qu'on lit avec un intérêt grandissant!

Le loup-garou
Dans une salle du comité électoral, des hommes révisent les listes. Ils commencent à discuter de loups-garou et certains d'entre eux racontent des histoires terribles de rencontres avec ces bêtes mi-homme, mi-loup. Deux histoires sont racontées, plutôt intéressantes.

La bête à grand'queue
Des amis discutent de la bête à grand'queue en buvant un verre. L'un d'entre eux raconte alors une aventure terrifiante: la rencontre de la bête sur le chemin. Comme le veut la légende, on doit lui couper la queue pour en échapper... L'histoire est construite, comme la plusieurs des histoires d'Honoré Beaugrand, de façon à ce que l'auditeur ou le lecteur ait l'impression que l'histoire est vraie. Ce conte est en deux parties, la seconde relatant les minutes d'un procès...

Macloune
Macloune est un jeune homme laid comme un monstre, difforme et malade. Quand il tombe amoureux, tout le village est contre son idée de marier sa belle. Le curé veut empêcher une telle union qui ne ferait que perpétuer une lignée monstrueuse. Cette histoire qui détonne un peu dans le lot, est particulièrement triste. C'est une sombre histoire d'amour, profondément touchante.

Le père Louison
Canotier et passeur sur le Saint-Laurent, le père Louison est connu comme un homme tranquille et affable, jusqu'au jour où il se fait provoquer par un villageois et qu'il décide de répliquer. Le village apprend alors qu'on doit se méfier des eaux dormantes...

Le fantôme de l'avare
Il s'agit de mon autre histoire favorite. Cette histoire ressemble un peu à un conte de Noël à la Dickens. La veille du Jour de l'an, un grand-père raconte une histoire de fantôme à sa famille. Il s'agit d'une fable sur la générosité et le partage. Vraiment très bon!

J'ai véritablement adoré ce recueil, particulièrement deux histoires: Le fantôme de l'avare et La chasse-galerie. Les deux contes ont beaucoup de ressemblances dans la façon dont ils sont construits, même s'ils ne traitent pas des mêmes sujets. La chasse-galerie est définitivement ma légende préférée. Elle est tellement passée dans l'imaginaire populaire que nombre d'oeuvres s'en inspirent, qu'il existe une boutique, un bar, des cafés et restaurants qui portent ce nom, qu'une bière en a créé une image pour son étiquette et qu'un manège, la Pitoune, a été imaginée d'après cette légende. La Fête nationale a même fait réaliser une affiche l'été dernier, autour du thème de ce conte, avec le slogan Entrez dans la légende. Elle est magnifique. J'adore!

La chasse-galerie dans cette édition, commence par une préface éclairante de François Ricard et est complétée par une bibliographie préparée par Aurélien Boivin. J'aime de plus en plus Honoré Beaugrand à mesure que je découvre son oeuvre et je ne compte pas en rester là. Jeanne la fileuse, qui raconte l'émigration franco-canadienne aux États-Unis m'intéresse beaucoup, ainsi que Six mois dans les montagnes rocheuses, un récit de voyage. Honoré Beaugrand a une écriture étonnament moderne et tous ses écrits se lisent avec grand intérêt.

Encore aujourd'hui, La chasse-galerie est bien présente dans notre imaginaire collectif. C'est une oeuvre magnifique, dans laquelle on retrouve notre Québec d'autrefois, avec ses camps de bûcherons et l'omniprésence de la religion. Si vous n'avez jamais lu Honoré Beaugrand, il est grand temps de vous y mettre!

À découvrir!

Un extrait:

"Pour lors que je vais vous raconter une rôdeuse d'histoire, dans le fin fil; mais s'il y a parmi vous autres des lurons qui auraient envie de courir la chasse-galerie ou le loup-garou, je vous avertis qu'ils font mieux d'aller voir dehors si les chats-huants font le sabbat, car je vais commencer mon histoire en faisant un grand signe de croix pour chasser le diable et ses diablotins. J'en ai eu assez de ces maudits-là dans mon jeune temps." p.21