Mes chers enfants,
Me voilà barbe et cheveux blancs. Ne me manqueraient plus que veste et pantalon rouge et joyeux bonnet, mais aussi larges bottes noires pour être le gentil débonnaire dont on vous dit que la spécialité serait la fabrication de jouets qui tomberont par milliers dans vos petits souliers, posés au pied de sapins synthétiques, à défaut de cheminées où s’animent les flammes du foyer.
Si je vous écris, c’est que vous me voyez terriblement affolé.
Comme tout le monde, le vieux bonhomme que je deviens va, chaque semaine, faire ses courses. Et chaque semaine, le vieux bonhomme que je suis, condamné qu’il est à travailler toujours plus pour un hypothétique gain supérieur, est obligé de constater que pour plus hors de son porte-monnaie, il a toujours moins pour vous nourrir.
Et le vieux bonhomme que je deviens a la chance d’avoir un toit, un travail, ce qui n’est plus le cas pour plus de cent mille de nos concitoyens, ni pour le quart de la population de notre pays qui, désormais, doit se satisfaire de vivre en dessous, ou à peine au niveau du seuil de pauvreté, avec la peur au ventre du surendettement et de cette déchéance qu’est malgré tout la fin d’une vie heureuse, avec foyer, rires et amours.
On me dira que mon langage est trop compliqué pour des enfants, mais je suis sûr que vous comprenez parfaitement où je veux en venir.
Et, bien entendu, vos regards iront vers les restaurants du cœur, la banque alimentaire et autres lieux où de belles âmes tentent, mais en vain, d’endiguer le flot de la misère dont la cause est connue ainsi que les remèdes. Mais comme personne ne veut vraiment s’atteler à la tâche…
Et vous, mes chers enfants et petits-enfants, ce même système qui broie les uns, fait miroiter à vos jeunes intelligences, en vous prenant par le fil de votre émerveillement, que Noël ce serait l’occasion de recevoir une quantité invraisemblable de jouets, avec lesquels vous jouerez un jour ou deux, puis passerez à autre chose, tout simplement parce que la vie, c’est, autre chose… Et que vous le savez très bien, justement, parce que vous avez une jeune intelligence qui devine toute seule où est le juste.
Les mêmes qui jettent vos pères, mères, oncles, tantes, cousins ou cousines, voisins ou voisines à la rue après leur avoir fait vivre le purgatoire de la misère absolue, agitent devant vos yeux naturellement ébahis et avides, le brillant d’une fête dont ils n’espèrent qu’une chose : tirer le plus grand profit en jouant avec la corde sensible d’un amour qui se réduirait à la capacité d’acheter les plus beaux jouets.
Sachez, mes chers enfants qu’il n’en a pas toujours été ainsi, et que peut-être, il y aurait un peu de justice à retrouver le sens que peut avoir une vraie fête, une fois dépouillée de ces oripeaux du commerce et de l’avidité d’un tout petit nombre de nos semblables sur cette terre.
Noël coïncide avec les nuits les plus longues (c’est ce qu’on appelle le solstice d’hiver). Il fut donc de tradition, depuis très longtemps de se réunir, ce soir là, et de se donner la lumière que la saison nous refusait, de se donner la chaleur que l’hiver avait lentement mais surement reléguée derrière lui.
Ce fut et ce devrait être toujours l’occasion de se retrouver entre humains, familles ou pas, pour offrir en dedans la lumière qui manque au dehors, s’offrir la chaleur de partager ce que l’on a sans autre artifice. Dans mon pays, et je me souviens que ma grand-mère pratiquait ainsi, il est de tradition de laisser sa porte ouverte, le soir de Noël, et le jour de Noël, d’ajouter une assiette du pauvre, et donc d’accueillir celui qui entre, et vient s’assoir.
Et, ce soir là, on se racontait des histoires, bien sûr, et le plus souvent de belles histoires. Religion ou pas, la fête est un moment de retrouvailles, de chaleureux échanges, et non la simple attente de l’heure où le bonhomme débonnaire viendra avec le fruit défendu d’un commerce débridé.
Je ne dis pas ici qu’il faudrait mettre au chômage et réduire à la misère le bonhomme rouge et sa compagnie de lutins qui souvent, sont des enfants, travaillant en quasi esclavage, dans des pays éloignés d’Asie.
Je ne dis pas, à l’heure où vous vous apprêtez à écrire votre lettre en dressant la liste de vos plus ardents désirs, qu’il vous faut renoncer à ce plaisir même.
Non, je voudrais seulement vous dire, mes chers enfants et petits-enfants, que le plaisir ne se mesure pas à la grosseur d’un paquet cadeau, mais à ce geste si simple de partager amour, chaleur, beauté. Que de simples lumignons aux fenêtres, le lent préparatif d’une belle chanson partagée en chœur, d’une belle histoire racontée, et d’une porte ouverte pour ceux qui n’ont plus rien, compte plus que tout le reste, et ne coûte rien, sinon ce prix incomparable de tourner le dos au commerce et de devenir le Père Noël d’un monde solidaire.
Car pendant que vous ouvrirez vos cadeaux, en certains lieux de ce monde, d’autres cadeaux seront explosif, comme viennent d’en décider les dirigeants de nos pays prétendus développés, et des enfants vont mourir d’une poupée nourrie à l’explosif. Et ce sont les mêmes fabricants, les mêmes banquiers, qui tiendront les ficelles de cette horreur.
Voilà, le vieux bonhomme que je deviens voulait simplement vous dire ceci : juste un peu de chaleur humaine est bien plus désirable que tous les paquets, même les plus désirés. Revenir à ce sens très simple d’une belle fête, me semble bien plus important que tous les préparatifs les plus rutilants auxquels, atour de vous, un nombre de plus en plus grand ne pourra prétendre.
Et comme mon cœur saigne comme jamais de cette douleur que la déchéance humaine provoque, je ne pouvais laisser passer ce moment sans vous inviter à réfléchir.
C’est chose faite. Il me reste à vous souhaiter d’avoir non seulement écouté, mais entendu, pour que nos mains réapprennent le geste vital de se tendre pour apporter secours, et attention vers nos semblables.
Désormais, je sais que vous êtes les enfants d’un monde qui se croit tout puissant, invincible. Mais la misère et la douleur des uns, ne peut qu’un jour ou l’autre retomber sur les autres. Nous sommes de fait solidaires de ce qui nous arrive. Et il suffit parfois d’allumer une petite lumière.
Xavier Lainé
Manosque, 28 novembre 2011