Arrivée
comme on rentrerait dans un théâtre, sans que l’on sache comme chez Don
Quichotte si c’est aller de la réalité vers la fiction, s’engouffrer dans la
folie des rêves ou à l’inverse prendre alors tout ce que l’on avait vécu
jusqu’ici pour une illusion : L’art peut-être serait traverser le voile des
apparences ordinaires, le voile de Maya,
pour aller atteindre dans l’improbable de ses formes une forme de vérité ou de
réalité. Des rideaux de diverses couleurs tendus en travers de l’espace,
faisant comme des strates desquels se dégage un passage. Passage qui n’est pas
de l’ordre de l’ouverture ou de la porte orgueilleuse mais évoquerait plutôt
une fente, un accès dérobé, une déchirure ou un trou dans une clôture :
quelque chose à travers lequel on se glisse et qui s’affirme alors de manière
presque organique comme passage. Cette entrée, scénographiée par Ulla von
Brandenbourg est à la fois très simple, naïve dans ce qui la fonde, féconde
dans l’imaginaire qu’elle transporte et ambitieuse dans ce qu’elle se laisse
promettre. Elle s’en retrouve un peu déceptive, ouvrant sur une scénographie
confuse, d’apparence décousue. Seule la rotonde monumentale avec ses allures de
décors et son univers narratif semble y répondre. Encore fait-on l’erreur de
penser immédiatement au travail de Louise Bourgeois, ce qui n’est pas à
l’avantage de celui de Robert Kusmirowski qui nous semble alors trop sage, trop
convenu. Quel terrible théâtre de mémoire ç’aurait été de découvrir, dans la
même pénombre, ses cellules, cages et araignées. Oui, une « terrible
beauté », pour reprendre le titre qu’a donné la commissaire Victoria
Noorthoorn mais qui a du mal à rejoindre ce que l’on voit exposé. Comme lors de
l’édition précédente avec son « spectacle du quotidien », l’oxymore
semble vouloir laisser la place à l’entre-deux de son apparente
contradiction : le vers, emprunté à un poème de W.B. Yeats, renvoyant dans
l’esprit de la commissaire à « une incapacité à juger de l’évidence du
présent ». Sentiment de confusion face au tumulte et aux contradictions,
difficulté à conjuguer une présence active au monde et un recul suffisant pour
en juger clairement, extrémité terrifiante parce qu’extrême, de toute beauté…
autant de pistes fécondes que l’on peine à suivre dans les œuvres tant chacune
d’elle semble s’ingénier à échapper au propos du commissaire pour parler seule.
Sans doute est-ce une des difficultés ou contradictions du travail de
commissariat : une trop grande lisibilité du propos tendrait sans doute à
instrumentaliser les œuvres, voire à leur faire jouer un rôle illustratif, mais
en rester à leur autonomie et leur singularité peut transformer une exposition
en une véritable cacophonie. A moins que ce soit le tumulte qui soit à
considérer comme témoignage de la confusion dans laquelle nous plonge l’actuel.
C’est la « terrible beauté » qui nous échappe alors. Il est amusant
de voir d’ailleurs, passé l’imposante rotonde et pas forcément à l’avantage
dans un coin mal éclairé de l’exposition, une vidéo de Zbynek Baladràn sur
laquelle l’artiste multiplie les esquisses de diverses intensions curatoriales
comme un Dieu, sur sa table à dessin envisagerait les différentes complexions
du monde. Le commissaire partagerait-il avec l’artiste, cette façon sublime et
ridicule du démiurge ?Peu de
pièces m’ont marqué, au rez-de-chaussée du bâtiment, sinon la performance de
Laura Lima montrant un homme nu, harnaché par de longues lanière élastiques à
deux poteaux de soutènement : on le voit remuer avec lassitude,
absurdement sans savoir s’il évoque là une entrave à laquelle il essaie de se
défaire ou une grotesque tentative pour desceller les structures du bâtiment
qui l’abrite. Entreprise désespérée de l’art ? De l’homme tentant
d’échappe à sa condition ? Les
commentaires que propose l’audio guide, les mêmes que ceux que l’on peut lire
gratuitement sur le guide papier, sont parfois désespérant par leur mélange de
naïveté pompeuse, flirtant avec le métaphysique tout en restant sommairement
descriptifs. Il faut dire que certaines œuvres paraissent extrêmement pauvres
dans leurs formes et les propos : que ce soient les 55 cercueils de
Bartelemy Toguo, artiste Camerounais dont j’ai suivi pourtant longtemps le
travail après l’avoir découvert à la galerie Villepoix en 2004 : « un ensemble de 55 cercueils qui représentent les 55
pays africains dans la souffrance, dans la pauvreté et avec ses douleurs » ;
les peintures de Lynette
Yadom-Boakye invitant à nous pencher sur une histoire dont les principaux
protagonistes seraient noirs : un homme en t-shirt rayé évoquerait un “Picasso
noir”, des enfants noirs jouant sur la plage, peut-être un tableau
impressionniste de Cassat ou de Boudin si leur entourage avait été plus fourni
en personnes “de couleur”. Le commentaire nous annonce une peinture raffinée et
subtile et nous voilà devant une dizaine de grands tableaux de facture
médiocre, d’un réalisme hâtif et entendu. Le propos, comme dans l’oeuvre de
Toguo, reste traité de manière superficielle, sa mise en œuvre peu pertinente.
Souvent l’on est un peu déçu par ces œuvres un peu faciles, ne tenant la plus
part du temps que sur les séductions du format, de l’apparence ou du discours.
Une ou deux autres choses m’ont fait le même effet, les sculptures d’Erika
Verzutti, flirtant parfois avec l’esthétique des années 80, le design d’Ettore
Sottsass, parfois avec l’art povera, ou encore avec l’art conceptuel affichent
une ligne si décousue que l’on ne sait si elles témoignent d’un peu postmoderne
de références, d’une mollesse de caractère ou du plus parfait opportunisme. Et
là encore, au lieu de terrible beauté, on pense plutôt à une terrible
confusion. Je passe les vidéos punk de Tracey Rose, contestataires mais qui ne
me touchent pas. La pièce de Beckett que l’on connaît mais qui ici s’insère mal
dans le parcours. Passe à l’étage. (à suivre…)