La Princesse de Clèves, roman par Madame de Lafayette

Publié le 28 novembre 2011 par Mpbernet

Voici un classique indémodable, au-delà de toute polémique* et hors du temps. Un roman psychologique, historique, social, publié en 1678 par une femme, Madame de Lafayette. Et une fois franchie la barrière de la langue – ici aussi – on ne le lâche plus jusqu’à la dernière page.

Car le plus difficile est d’y entrer. Le langage de cette fin du XVIIIème siècle, les conventions de l’époque, la description des codes de comportement nous sont aussi étrangers que le langage des cités et les modes vestimentaires des jeunes d’aujourd’hui. Passées les premières pages, on entre rapidement dans le vif des sentiments, des émois, des regards, des brusques rougissements, des larmes et des soupirs des jeunes gens de la plus haute noblesse, pleins d’énergie et de fougue.

Mademoiselle de Chartres a seize ans lorsqu’elle est présentée à la cour d’Henri II, ce roi élégant et doué, amoureux depuis très longtemps de Diane de Poitiers, comtesse de Vermandois, pourtant largement plus âgée que lui. La reine Catherine de Médicis la hait. La Cour se répartit en deux camps irréconciliables : les partisans des Guise, princes de Lorraine et ceux du Connétable de Montmorency, plus proches de la nouvelle religion réformée.

Mademoiselle de Chartres, coachée par sa mère, est d’une rare beauté. Tous les jeunes hommes qui l’aperçoivent en tombent amoureux, et en particulier le Prince de Clèves qui conçoit envers elle une passion dévorante. Elle, blonde et gracile, l’épousera bientôt mais sans amour, ce qui est le lot des jeunes filles de l’époque. Cependant, elle va tomber follement amoureuse du séduisant duc de Nemours. Sur son lit de mort, sa mère la prévient de cette inclination qu’elle a percée à jour, en lui rappelant qu’à la Cour, tout n’est que faux semblant et qu’elle préfère la mort à la honte de voir sa fille manquer à l’honneur.

Madame de Clèves se défend de la passion qu’elle éprouve pour Nemours. Lui est d’autant plus accroché que cette beauté reste à son égard d’une rigueur inhabituelle. Il va tout mettre en œuvre pour savoir si son amour est partagé. Portrait volé, lettre égarée, mensonges, trahisons, ragots de cour, maladies feintes … Tout le répertoire du théâtre classique est mis en œuvre, suivant les méandres de la carte de Tendre. C’est digne d’un roman-photo où l’on suit pas à pas l’évolution des sentiments de la jeune femme torturée entre attachement irrépressible et respect des engagements. On n’oublie pas qu’elle n’a que dix-huit ans. Nemours, lui, est un personnage imbu de sa personne, un séducteur compulsif qui tombe pour la première fois sur un obstacle qui, lui résistant, le rend fou. Il sera maladroit, indiscret et cruel. Monsieur de Clèves est d’autant plus jaloux que sa belle et sage épouse lui avoue qu’elle est éprise d’un autre homme et qu’elle souhaite, pour résister à cette funeste inclination, ne plus paraître à la Cour, ce que le Prince lui refuse : elle doit tenir son rang. Il mourra de jalousie sur la foi d’une fausse information, elle se refusera à Nemours une fois libre, car pour elle, un amour ne peut durer sans drame, et qu’elle le tient pour responsable de la mort de son époux. C’est en effet parce que sa femme ne parvient pas à l’aimer que le prince de Clèves ne cesse de l’aimer avec passion, à en mourir.

Premier roman psychologique de la littérature française, La Princesse de Clèves est étudiée au lycée. Je me souviens de l’avoir lue par obligation donc sans plaisir. Sa relecture cinquante années plus tard est une découverte. J’imagine les atours, la coiffure de cette blonde à la peau de velours, son cou ourlé d’une fraise bouillonnante, sa robe de brocart et ses perles, sa toque de velours posée de côté …Un monde si éloigné du nôtre, mais où les sentiments de l’amour naissant sont ceux que nous avons tous éprouvés un jour ou l’autre.

*polémique : en 2006, Nicolas Sarkozy s’était insurgé contre le  fait que La Princesse de Clèves figurât au programme d’un concours administratif de niveau peu élevé. Il trouvait que ce type d’épreuve de culture générale s’avérait trop discriminant, trop socialement « clivant » pour des candidats issus de milieux défavorisés, et surtout  inutile afin de pourvoir à  des postes d’encadrement administratif. Aussitôt la polémique fut engagée par l’ensemble du corps enseignant et les féministes au motif que ce roman est le premier écrit par une femme et donne aux femmes un rôle éminent dans la société.

 La Princesse de Clèves, roman par Madame de Lafayette (1678), en édition Le Livre de Poche, 239 p. 3,50€