Son histoire...
Le 20 septembre 2003, à 6h du matin, des marins découvrent un colosse de 6 pieds 7 pouces flottant dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. Les pompiers repêchent l’homme avec une grue sur un bateau amphibie. Il nageait depuis une heure et demie, emporté par le courant. Il s’était jeté du haut du pont Jacques-Cartier après avoir tout perdu au Casino de Montréal.
À l’urgence de l’hôpital, il constate que ses jambes ne répondent plus. En tombant dans l’eau, sa colonne vertébrale s’est sectionnée, déchirant sa moelle épinière.
Did Tafari Bélizaire raconte son histoire.
Je suis devenu paraplégique à cause du jeu compulsif. Je m’accroche à un espoir: donner des conférences pour faire la différence auprès d’autres joueurs. Savez-vous que 4 à 8% des adolescents ont développé une dépendance au jeu? Je veux parler aux jeunes, car ils sont notre avenir.
À l’école secondaire, j’étais une vedette: ma grandeur attirait. J’étais le seul Noir de mon école à Ste-Foy. Mes prouesses au basket me mettaient sur un piédestal. Je crois que cet excès de confiance a développé en moi le goût du risque, quelque chose d’inconscient. Quand tu gagnes aux jeux, t’es le king.
À 18 ans, je commence à travailler dans les bars de Québec, comme portier. C’était facile, vu ma stature. Dans les moments calmes, pendant 10 ans, je glisse quelques billets dans les machines à sous.
Intérêts de 50$ par jour
En sept mois, je dépense autour de 8000$ dans les maudites machines. Manipulations, menteries, toute la famille y est passée. Et je passe les fois où j’ai vidé les comptes conjoints. J’ai même réduit mes achats de cocaïne pour jouer. Puis, j’emprunte 1000$ à des usuriers: 50$ par jour d’intérêts (1500$ par mois). Ils te laissent prendre du retard. Quand ils se sont mis à presser sur le champignon, j’ai pris 500$ dans la petite caisse de l’hôtel ou je travaillais et je suis allé au casino, dans l’espoir de récupérer et rembourser. J’ai tout perdu.
En sortant du Casino de Montréal, je me suis rendu à pied sur le pont Jacques-Cartier. J’ai enjambé la barrière et me suis jeté en bas. Dans l’eau, je n’étais pas de bonne humeur: je n’étais pas mort. J’ai essayé de me caler. Je n’y arrivais pas.
Plus on gagne, plus on perd
Deux ans après ma tentative de suicide, j’explique encore mal comment on devient accro à ces appareils. C’est pas clair comment ça se passe. C’est peut-être un mal de vivre. Mais plein de gens ont des bibittes et ne deviennent pas joueurs compulsifs.
Les machines sont attrayantes: le bruit, les couleurs. Tu penses que tu comprends les probabilités. Mais rien de tout ça ne tient. La plus grande force de ces 14 000 machines sous le contrôle de Loto-Québec est leur gain élevé. L’illusion des machines est là. J’ai gagné souvent. Une fois, j’ai gagné trois fois le gros lot la même journée (maximum 500$). Je suis sorti sur le party pendant 22 heures…
Des solutions pour tempérer
Le jeu ne doit pas être accessible au coin de la rue, dans un petit bar où tu retrouves tes chums. Loto-Québec devrait regrouper les machines de vidéopoker dans quelques points de service dans la ville, comme au casino.
Si, après avoir tout perdu, tu reviens chez toi à pied du casino, tu vas commencer à y penser. Quand la rage de jouer va te pogner, les 45 minutes de trajet d’autobus de Tétreaultville jusqu’à l’île Notre-Dame vont te calmer.
On ne peut pas abolir le jeu. Je suis d’accord avec les casinos gérés par l’État. Mais je pense que Loto-Québec devrait retirer les 14 000 vidéopokers des bars. Tu vas te chercher un pain et t’as une machine à sous juste là! Comment ça se fait que les bars ouvrent à 8h le matin? Avec les machines, on frappe sur le petit peuple. Pourquoi n’y a-t-il aucune machine à Westmount? Les machines, du temps où elles étaient clandestines, étaient moins accessibles.
Loto-Québec redirige 22 millions sur ses 1,5 milliards de profits vers la prévention et la guérison du jeu pathologique. Des maisons de traitement sont devenues gratuites. Malgré tout, le problème est si grave que Québec devrait faire plus pour les joueurs excessifs. Le gouvernement devrait interdire la publicité sur le jeu, comme il le fait pour la cigarette. Tout ce marketing met le jeu à la mode et le banalise. C’est vrai qu’il y a des présentoirs dans les bars, avec des dépliants de prévention. Moi, je sniffais ma coke avec, pour ne pas lâcher la machine. Entre ce présentoir qui t’offre une aide et le guichet automatique installé à portée de main, qu’est-ce qui intéresse le joueur, croyez-vous?
Critique de Loto-Québec
J'ai été membre de la coalition EmJeu (Éthique pour modérer les jeux d’argent et de hasard), qui exerce des pressions sur Loto-Québec. Radios, télévisions, colloques, j’ai été aux mêmes tribunes que d’autres citoyens engagés dans la critique de la société d’État: Éléonore Mainguy, ex-croupière du casino de Charlevoix (et ex membre d'EmJEU) et Biz, du groupe Loco Locass, coréalisateur du documentaire La maudite machine. J'ai aussi participé à deux vidéos de prévention pour les jeunes, avec l’Université McGill et avec le Journal de la Rue.Pour convaincre les directeurs d’école de m’inviter à donner des conférences aux élèves, je leur dis: Monsieur le Directeur, saviez-vous que, selon le Centre d’étude sur le jeu et les comportements à risque de l’Université McGill, le jeu vient au premier rang des dépendances bien avant la drogue, l’alcool et la cigarette?Je veux que les jeunes reconnaissent les pièges, qu’ils fassent des choses positives: sport, théâtre… qu’ils voient quand le jeu n’est plus un jeu, quand, par exemple, tu prends 2$ sur ton 5$ de lunch pour miser… Pour se battre contre la publicité massive de Loto-Québec, on a une force, on a le contact direct avec les jeunes. La tendance à transformer le Québec en société du jeu est lourde. Mais, en fauteuil roulant, j’ai appris à avancer en me fixant de petits objectifs.Vis-à-vis du jeu, un petit point d’interrogation est en train de se dessiner dans la société québécoise. Je veux faire la différence pour quelqu’un d’autre, pour les jeunes surtout.
AU REVOIR DID!
La famille recevra les condoléances au Complexe Funéraire de la Cité,
1600 Avenue Le Gendre à Ste Foy, Québec G2G 2W5
Vendredi le 2 Décembre de 19 h. à 22 h.
Samedi 3 Décembre de 12 h. à 13 h.30.
Les Funérailles auront lieu à 14 h, à l’Église St Benoit Abbé
3420 Rue Rochambeau, Ste Foy, Québec, G1X 2H1
Texte tiré du site personnel de Did et du magazine Reflet de Société