Inception, qui fut sans conteste l’évènement cinématographique de l’été 2010, en est le parfait exemple. Personnages «architectes de niveaux», récits emboités, séquences d’action construites comme des niveaux de jeu avec timer et «game over»... les influences pullulent. En guise de boutade, on pourrait presque dire qu’il ne manque au film de Christopher Nolan qu’un vrai gameplay pour en faire un bon jeu !
Là s’arrêtent justement les similitudes. On s’aperçoit que le cinéma et les jeux vidéo sont des médias parfaitement complémentaires mais pas forcément conçus pour que leur croisement, leur convergence, permettent l’émergence d’une nouvelle forme de divertissement.
Au contraire, il semble qu’au fil des années chacun de ces médias ait pris soin de se recentrer sur des fondamentaux difficilement conciliables.
Le cinéma n’a eu de cesse de renforcer la valeur ajoutée de la projection en salle : son surround, écrans géants, 3D... Un spectacle total, mais fermé à toute notion d’interactivité ou de participation. Les rares expériences d’interactivité au cinéma, peu convaincantes (boitiers de vote ou, plus récemment, utilisation du téléphone portable,
Les jeux vidéo, de leur côté, n’ont cessé de prendre leur distance avec le cinéma et de se débarrasser progressivement de ce qui pouvait évoquer cette filiation encombrante. Les séquences filmées qui ont fait les beaux jours de certains jeux célèbres des années 90 ont quasiment disparu des jeux contemporains réalisé en dessins animés ou en images de synthèse.
Les longues cinématiques, qui avaient le don d’agacer les joueurs en les reléguant pendant quelques instants au rang de simples spectateurs, se sont considérablement raccourcies quand elles n’ont pas disparu de certains jeux. La plupart de ces séquences sont désormais jouées en temps réel ce qui permet de hacher le moins possible l’expérience de jeu en laissant au joueur la possibilité de bouger l’angle de caméra.
Heavy Rain et Uncharted (dont un troisième volet, toujours aussi réussi, vient de sortir récemment), deux jeux qui revendiquent leur filiation avec le cinéma, montrent comment, chacun à leur manière, ils ont assimilé la grammaire du cinéma sans pour cela placer le joueur en position de simple spectateur. Dans Uncharted, le joueur ne voit pratiquement plus la différence entre les scènes scriptées (mises en scène par les réalisateurs du jeu) et les scènes qu’il joue lui-même. Les phases d’action et les cinématiques s’enchainent naturellement. Dans Heavy Rain, le joueur a réellement l’impression de jouer à un film interactif dont il est l’acteur, voire même parfois le metteur en scène quand ses choix déterminent tel ou tel chemin. En un sens, on peut dire que les jeux vidéo ont «digéré» la grammaire du cinéma tout en prenant soin de se recentrer sur leur spécificité (le gameplay ou, dans le cas d’Heavy Rain, l’interactivité). Un peu comme le cinéma avait «digéré» la grammaire du théâtre pour en faire quelque chose de spécifique.
Le rapprochement des deux médias a surtout profité au jeu vidéo. Faute de créer un territoire commun original, leur fusion aura réussi à créer un champs d’exploration intéressant pour des réalisateurs de cinéma attirés par la dimension immersive de notre média et pour des game designers fascinés par la puissance narrative et émotionnelle du cinéma. C’est déjà pas si mal. Mais loin de ce que promettait cette fameuse convergence qu’on n’a cessé d’évoquer depuis plus de 15 ans.
Si une nouvelle forme d’art ou de divertissement peut apparaitre, ce sera ailleurs qu’il faudra regarder, non pas du côté du cinéma donc, mais plutôt des séries télé. Mais cela fera l’objet d’un prochain billet.