Le fameux funiculaire de Montmartre dont on parlait depuis si longtemps n'est plus un mythe ; il vient d'être mis en service, et fonctionne régulièrement.
La construction de ce funiculaire a été entreprise par la Compagnie Decauville, qui en a conçu le projet et en est devenue concessionnaire, après adjudication par le Conseil municipal, à la date du 25 juillet 1899.
Un premier projet avait été présenté dans le courant de l'année 1891 ; puis un second dans celui de 1899. C'est ce dernier qui fut approuvé le 26 mars dernier.
Si donc la solution administrative a demandé près de dix ans, l'exécution complète du travail a pu aboutir dans le court espace de trois mois, sous l'active direction de l'ingénieur, secrétaire général de la Société, M. Schlüssel, auteur du projet adopté.
Étant donnée la mauvaise nature du terrain de cette pente abrupte, on conçoit que des difficultés de genres variés n'ont pas manqué à l'entreprise. Mais toutes ont été heureusement surmontées, et l'oeuvre, dans son ensemble, présent une sécurité absolue pour les voyageurs, condition sine quâ non dans une pareille exploitation.
A supposer toutefois la rupture du câble extra-solide, pendant la marche des voitures, ces dernières, grâce à un appareil ingénieux et à un frein puissant seraient arrêtées instantanément.
L'ensemble du système construit avec des précautions minutieuses est retenu par un massif de 350 tonnes de maçonnerie.
Le service se fait au moyen de deux voitures pouvant contenir chacune cinquante personnes. Les voyageurs pénètrent par le milieu du bâtiment, passent par les tourniquets et entrent dans la voiture par l'escalier central. Ils en sortent, au contraire, par les escaliers latéraux.
Le trajet de 105 mètres exactement, avec une pente moyenne de 36 centimètres par mètre, s'effectue dans l'espace d'une minute et demie. Ajoutons que le prix du transport et de 10 centimes pour la montée et de 5 seulement pour la descente. De plus, matin et soir, il y a un train ouvrier.
L'exploitation est fixée à dix-sept heures en été et à quinze en hiver. Les départs on lieu tous les quarts d'heure au moins.
Les deux voitures dont nous donnons le dessin sortent des ateliers de la Compagnie à Corbeil. Les plates-formes, ainsi que l'encastrement métallique de la voie proviennent de la fonderie de Berne, en Suisse, laquelle a envoyé sur place un de ses meilleurs monteurs.
Quant au système de traction il est simplement à contrepoids hydraulique. L'eau nécessaire est fournie par les réservoirs de la ville au prix fixe de 3 centimes par mètre cubes.
Enfin, pour ne pas nuire à l'aspect général de ce versant de la butte, les vides entre les rails et les murs en bordure de la voie, sont recouverts de gazon, au lieu de ballast ordinaire, et, sur tout le parcours, un lierre verdoyant tapissera la maçonnerie latérale.
Ce funiculaire, établi parallèlement aux escaliers de la rue Foyatier, entre le square Saint-Pierre et le Sacré-Coeur, sera certainement fort apprécié des nombreux pèlerins et curieux qui viennent visiter la basilique et admirer le panorama de Paris ; il ne sera pas inutile à la population ouvrière de ces parages ; mais il ne dessert qu'une partie du versant méridional ; or, pour satisfaire à tout les besoins de la circulation entre les bas quartiers et le sommet de la butte, il faudrait pourvoir les autres versants du même moyen de locomotion. Tel est le voeu exprimé devant nous par un vieux Montmartois sous cette forme familière : "Espérons que ce premier funiculaire fera des petits et puissions-nous ne pas attendre dix ans pour les voir naître... et marcher."
C'est à nos édiles qu'il appartient de réaliser ces espérances ; leurs intentions, sans doute, sont excellentes, malheureusement des soucis étrangers à leurs attributions leur font trop souvent perdre de vue les affaires utiles.
Henri RENOU - Article paru dans l'Illustration le 11 août 1900