Taille du marché, productivité, salaires
Les observateurs économiques se posent souvent la question de savoir pourquoi les salaires, à poste équivalent, varient d’une région ou d’une ville à l’autre en un même pays. Une bonne partie de la réponse se trouve sans doute déjà chez celui qu’on nomme souvent le « grand-père de la science économique » : Adam Smith. Sa théorie du développement économique repose en effet sur l’idée que la spécialisation, qui nous permet d’être plus productifs et d’en tirer des revenus plus élevés, dépend de la taille du marché : le degré de division du travail et donc de spécialisation n’est pas le même dans un petit village (un « petit » marché) que dans une grande ville (un « grand » marché) ; on ne trouvera pas de magasin de musique dans un petit village, mais on trouvera des vendeurs de guitares pour gaucher (hautement spécialisés donc) à Paris. Un marché plus grand permet plus de spécialisation ; un degré de spécialisation plus élevé entraine plus de productivité ; et une productivité plus élevée génère des rémunérations plus élevées (1). On voit donc le lien « grand marché »-rémunérations plus élevées.
Un pays est constitué d’une myriade de territoires économiques qui sont en fait des « marchés » de tailles différentes (même à l’intérieur d’une même ville). Bien sûr ces marchés ne sont pas « fermés » : une entreprise exportatrice corrézienne a son marché au niveau mondial et non local. Les infrastructures locales et globales permettent donc d’étendre le marché et rendent d’ailleurs difficile le fait de mettre les territoires économiques dans des « boîtes économiques » fermées ! Cependant pour une grosse part des entreprises en un lieu donné, le marché est essentiellement local. Le degré de spécialisation dans ces entreprises, dans la branche économique à laquelle elles appartiennent au niveau local, et plus généralement dans le tissu économique local, dépend donc de la taille du marché local. Cela signifie que la productivité et donc les rémunérations dépendent aussi de cette taille du marché local. En toute logique, les rémunérations pour ce qui semble être un même poste à Paris et dans une petite ville de Province, doivent nettement diverger, puisque la valeur générée par la même personne à ces deux endroits va diverger du fait de tailles différentes du marché.
Productivité, rentabilité et Salaire minimum « national »
Le territoire national n’est donc pas homogène du point de vue du développement (même si les infrastructures communes permettent de mitiger cette réalité) et les salaires « à poste équivalent » non plus. Pourtant la France, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne, a fait le choix d’avoir une rémunération minimale homogène sur le territoire (qui lui est hétérogène du point de vue du développement économique) : c’est le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Et ce SMIC est, contrairement à ce qui est souvent pensé, très élevé en France : 60% du salaire médian français (le salaire qui divise la population active en deux) en 2009.
Quel est donc théoriquement l’impact d’un salaire minimum élevé et national ? Il signifie que des entrepreneurs dans des zones où les marchés sont « petits » devraient alors embaucher à un niveau de salaire minimum qui est bien souvent trop élevé pour eux : à ce niveau de salaire il n’est tout simplement pas rentable d’embaucher puisque l’emploi en question dans le contexte d’un petit marché (et donc de faible demande) ne peut générer une valeur suffisante pour couvrir son coût. Cet emploi ne créerait pas de la valeur, il en détruirait ! Quand on ajoute le coût de la complexité du droit du travail et le coût du licenciement pour des entreprises « petites », il n’est pas difficile de comprendre pourquoi de l’emploi n’est pas créé dans les zones moins développées (2). Pour se faire une idée de l’effet, il suffit d’imaginer ce qui se passerait si l’on imposait le niveau de salaire minimum français en Bulgarie ou en Tunisie…
Rareté organisée du foncier, crise de l’immobilier
On comprend mieux l’exode des travailleurs vers les « marchés plus grands » où la création d’emploi est nettement plus rentable dans le contexte d’un salaire minimum national et élevé. Cependant, une autre réglementation (non pas sur les prix, mais sur les quantités cette fois-ci, avec un impact sur les prix) vient attendre les candidats à l’emploi dans les zones plus prospères : celle du foncier. Dans le but affiché de réduire la pression foncière pour des raisons environnementales, les communes se dotent de Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et, entre elles, de Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT), véritables appareils de planification pour rationner drastiquement l’offre, bien au-delà de la justification environnementale. On peut évidemment disserter à l’envi sur les vraies raisons de ce choix, et sans doute en trouvera-t-on quelques unes de peu avouables. Quoi qu’il en soit, un marché sur lequel l’offre est rationnée de manière politique voit ses ajustements s’effectuer par les prix : ils montent et il est plus onéreux de se loger. Et c’est exactement ce qui se passe en France dans les zones où la demande (accélérée par l’exode dû à la première réglementation sur le marché du travail) est forte.
De manière assez ironique, deux réglementations censées « protéger » les français, prennent en réalité ces derniers en tenaille.
Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org.
(1) C'est à dire un marché plus grand permettant plus de spécialisation etc...: c'est le cercle vertueux du développement, dans sa plus simple expression.
(2) Notons au passage qu'une réglementation censée favoriser l'égalité génère en réalité davantage... d'inégalités et de « déséquilibres » entre territoires.