Pourtant ça y est, je l’ai vu, le fameux Il était une fois en Anatolie. Et je pense que traverser Café Noir, ce drame amoureux contemplatif de 3h18 m’a endurci face aux films d’auteur lancinants de plus de 2h30. « Si j’ai tenu et même aimé l’expérience coréenne de 3h18, comment avoir peur d’un film turc de 2h37 qui paraitra certainement un court-métrage à côté ! » Par contre s’il y a une chose que les années m’ont enseigné, c’est que lorsqu’il s’agit de passer plus de 2h30 assis devant un film, autant choisir une salle confortable, pour le bien-être du corps et, ne nous voilons pas la face, la tranquillité du sommeil si d’aventure il devait m’arriver de m’endormir. Écarté d’emblée donc le MK2 Beaubourg ! En revanche, en quatrième semaine, Il était une fois en Anatolie tenait toujours l’affiche au Balzac à côté des Champs-Élysées, un bel exemple de confort, d’autant que le film était projeté en salle 3, cette fameuse petite salle de luxe que j’avais testé pour City of life and death il y a quelques mois.
Arrivé au galop, sur le fil alors que la séance commençait tout juste, j’ai été surpris de trouver une salle pas loin d’être pleine. Comme je l’avais décrite l’année dernière, la salle est barrée en son centre d’une travée centrale, et c’est au deuxième rang, sur cette travée centrale, que je me suis posé pour être tranquille (la taille de l’écran et le rythme reposant annoncé du film ne risquaient de toute façon pas de déclencher une crise d’épilepsie…). C’est alors, en retirant mon manteau et en jetant un œil par-dessus mon épaule, que je constatai que je me trouvais dans une salle de vieux, moyenne d’âge 75 printemps bien tassés. Pour un film comme Il était une fois en Anatolie, annoncé calme et silencieux, j’ai soudain eu peur que les bavardages des personnes âgées encombrent quelque peu la projection… voire des ronflements (ce n’est pas rare !). Lorsque la salle s’est éteinte et que le générique d’ouverture du film de Nuri Bilge Ceylan a commencé, une cacophonie de discussions et commentaires régnaient dans la salle, dont le jeune homme d’au moins 80 ans placé juste derrière moi qui se vantait bien fort auprès de sa compagne de pouvoir enfin profiter de quelques jours de vacances.
NAN MAIS JE RÊVE OU QUOI ?! Apparemment ce monsieur et cette dame n’ont aucune connaissance des règles du savoir-vivre dans une salle de cinéma, et précisément de celle-ci : quand on arrive en retard au cinéma, et que l’on entre dans la salle alors que le film est commencé, on se pose là où il y a de la place sans déranger les spectateurs qui eux sont arrivés à l’heure et sont déjà absorbés par le film. Si les places libres sont au premier rang, on opte pour le premier rang. Si c’est complètement sur un côté, on se met complètement sur un côté. Si cela ne nous plait pas, on se barre et on reprogramme une autre séance où l’on arrivera à l’heure. Mais en aucun cas on cherche à se placer au mieux aux dépens de l’attention et de la projection de ceux qui sont déjà plongés dans l’histoire qui leur est racontée. Il faut assumer et respecter le confort d’autrui.Comme je n’avais pas envie de faire un esclandre en plein film et ainsi déranger les autres spectateurs qui n’avaient rien demandé eux non plus, j’ai attrapé mes affaires en leur lâchant un mot de mécontentement évident. J’ai horreur d’être sorti d’un film, même s’il n’a commencé que quelques minutes plus tôt.
Il y a une certaine capacité du cinéaste à parler de son pays à travers le prisme réduit d’une poignée de personnages déboussolés et errant dans un quasi no man’s land. Mais le réalisateur fait commencer un deuxième film dans le film, en plein jour, en ville (aussi peu impressionnante soit-elle), une seconde partie qui est le prolongement logique de l’errance nocturne mais qui dans le même temps offre une nouvelle perspective et ne se dévoile que par suggestion et non-dits. Plus encore que dans la nuit de la première partie, le film est fait de regards et de gestes qui sont sensées en dire plus que les paroles… alors que tout reste trop flou, malgré deux performances d’acteur (le médecin et le procureur) dont la retenue n’a d’égale que la puissance. L’impression laissée est mitigée, entre la fascination hésitante et l’ennui évident, mais avec cette insaisissable certitude qu’Il était une fois en Anatolie est de ces films qui s’enracinent en vous malgré la lassitude que l’on peut ressentir à leur vision.
Il était une fois en Anatolie, film policier ? Des flics, un procureur, un meurtrier penaud, et un cadavre à trouver font-ils un film policier ? Au fond, comment détermine-t-on le genre d’un film ? Est-ce la trame ? L’atmosphère ? La nature des personnages ? Non on ne va pas se lancer dans une telle réflexion maintenant… On va juste se dire qu’on en entend vraiment de bonnes dans une salle obscure (peuplée de personnes âgées ?)…