Michelangelo Pistoletto, Venere degli stracci, installation au Castello di Rivoli (Turin), mais aujourd'hui exposée au musée MAXXI à Rome
Après vous l’avoir plusieurs fois annoncé sans tenir ma promesse, voici un petit article non exhaustif qui a pour objet l’Arte Povera, suite à une visite à l’exposition « Arte Povera 1967-2011 », à la Triennale de Milan.
Contrairement aux avantgardes du début du Xxème siècle (le Cubistes, les Expressionnistes, les Futuristes…), les artistes de l’Arte Povera ne se sont pas réunis autour d’un véritable manifeste, d’idées partagées, d’une technique commune, d’un chef reconnu. Le premier à en parler est un jeune critique d’art, Germano Celant, qui invite en 1967 Alighiero Boetti, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Pino Pascali et Emilio Prini à une exposition collective à la galerie La Bertesca de Gênes.
L’adjectif « povera » (pauvre) fait référence à l’emploi de matériaux bruts, tels que le métal, le charbon, la toile, les éléments végétaux, les pierres, le tuyau de construction, sans la « médiation » de la technique, en raison de leur force d’expression. Le terme est aussi une référence au théâtre de Jerzy Grotowsky, qui exaltait un théâtre « pur », sans scène, ni costume, ni effets spéciaux mais concentré sur le rapport entre acteur et public.
Après l’exposition génoise, les mêmes artistes, rejoints par d’autres (Giulio Paolini, Pier Paolo Calzolari, Mario Merz, Giuseppe Penone, Piero Gilardi, Michelangelo Pistoletto…) ont enchainé plusieurs autres expositions et sont aujourd’hui les artistes italiens les plus connus (et les mieux cotés) d’après-guerre. Ils font vraiment partie du panorama de l’art italien comme Lucio Fontana ou Umberto Boccioni. Voilà pourquoi, pour le 150ème anniversaire de l’unité italienne, plusieurs expositions ont été organisées dans maints musées en Italie, de Milan à Rome, à Turin à Bari. L’Arte Povera remet l’Italie au centre des questionnements artistiques et en fait un moteur majeur de l’art du XXème siècle.
Mario Merz, Le case girano intorno a noi o noi giriamo intorno alle case?, 1994, Strutture metalliche, vetro, pietre, neon, Collezione Merz
Un des protagonistes majeurs du mouvement, décedé en 2005, est Mario Merz, auteur des igloos, comme vous pouvez le voir en photo ci-dessous.
L’igloo, selon Merz, est un condensé de symboles, avant tout c’est le développement en trois dimensions de la forme de la spirale, qui lui est si chère, et est une forme archétypale de l’habitat humain. Il enrichit cette forme simple de matériaux industriels (verre, pierre, tuyaux en métal) et de néons. Ici la réflexion est axée sur la relation entre l’homme et l’espace qu’il habite: « Les maisons tournent autour de nous ou nous tournons autour des maisons ? »
L’implication du visiteur devient plastique dans l’oeuvre de Michelangelo Pistoletto, un des artistes encore actifs sur la scène de l’art grâce à la « Cittadellarte », sa fondation à Biella. Dans ses « tableaux-miroirs », l’artiste propose un jeu de perception à ses spectateurs, qui se trouvent soudain dans l’œuvre à côté des personnages sérigraphiés sur la surface de l’objet. Cela peut nous paraître un peu naïf, mais vous devez imaginer qu’il s’agit d’un des premiers dispositifs d’interaction entre œuvre et spectateurs, si fréquents dans l’art d’aujourd’hui. En plus, Pistoletto propose une réflexion sur le temps, statique quant à l’image sérigraphiée, dynamique quant aux spectateurs et sur l’espace, l’espace virtuel engendré par la surface reflétante.
Quand on parle des artistes de l’Arte Povera, on aime bien utiliser des épithètes, pour mieux individualiser les différentes démarches. Pier Paolo Calzolari, un de mes artistes préférés, est le Poète. Ses œuvres sont des installations éphemères en équilibre précaire et qui emploient des matériaux non orthodoxes, riches en énergie, force expressive et poésie, tels que le givre, la cire, le feu, l’eau, l’éléctricité. Même de grandes dimensions, ses œuvres n’agressent jamais le spectateur, au contraire elles l’impliquent délicatement et le questionnent avec discrétion. A Milan, c’est tout particulièrement Auricolari (1968) qui a attiré mon attention.
Vue de l'exposition Pier Paolo Calzolari, Musée d’Art Moderne et Contemporain, Nice, 26 juin – 16 novembre 200, Photo: Marion Musso & Jean-Luc Simeney, Courtesy: Archivio Fondazione Calzolari, Rome
Au premier plan: Auricolari (Il mio 25 anno di età, Nella mia arte ostinata o mestiere, Impazza angelo artista), 1968, Structure gelée, cuivre, plomb, moteurs frigorifiques, Fondo Calzolari
Au second plan: Rapsodie Inepte (Infinito), 1969, feuilles de tabac, neon bleu et blanc, étain, transformateur, Fondo Calzolari
Sur le fond: Scala (L’agua ...), 1970, échelle, structure gelée, plomb, néons bleus, moteur frigorifique, transformateur, Fondo Calzolari
L’Ingénieur du groupe est Giulio Paolini, dont le travail m’a toujours également fascinée, mais dont – je l’avoue – la compréhension est difficile. Dans ses œuvres (à Milan en particulier « Casa di Lucrezio », où se trouvent réunis six moulages en plâtre sur socles et deux cassés au sol) la mémoire est souvent questionnée, ainsi que le rapport entre spectateur et espace en trois dimensions. Ses installations et sculptures, parfaitement polies, étudiées, planifiées et montées (voilà pourquoi l’ingénieur) dialoguent avec la sculpture, l’architecture et la mythologie gréco-romaine. Les sculptures sont souvent des moulages d’œuvres classiques. Elles se présentent comme des fragments, des citations du passé et gardent un coté hiératique en créant une atmosphère mystérieuse et interrogative.
Notre petite balade au pays de l’Arte Povera se termine ici, mais si vous avez programmé un voyage en Italie avant fin janvier, incluez dans votre périple une visite à l’une des expositions de l’Arte Povera, vous ne serez pas déçus et vous découvrirez une des choses qui me rend fière d’être italienne.
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Expositions sur l'Arte Povera:
Arte Povera International au Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea, Rivoli (Turin)
Arte Povera alla GNAM, Galleria nazionale d’arte moderna e contemporanea, Rome
Arte Povera in città, GAMeC - Galleria d’Arte Moderna e Contemporanea, à Bergame
Arte Povera più azioni povere 1968, MADRE - Museo d’Arte Contemporanea Donnaregina, Naples
Arte Povera 1968, MAMbo - Museo d’Arte Moderna di Bologna, Bologne
Omaggio all'Arte Povera, MAXXI - Museo nazionale delle arti del XXI secolo, Rome
Arte Povera in teatro, Teatro Margherita, Bari
Arte Povera 1967-2011, Triennale di Milano, Milan