Karl Grünberg (ACOR SOS Racisme) persiste et signe. Je lui ai demandé ce que signifie actuellement l’islamophobie en Suisse. Sa réponse n’a pas tardé. L’islamophobie est un racisme latent et certain…en Suisse et ailleurs!
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Combattre l’islamophobie est difficile. L’extrême-droite la porte, mais dans la crise politique que nous vivons l’extrême-droite se libère de l’image gore qui l’a longtemps plombée. Et certains se disent islamophobes qui se distinguent de l’extrême-droite.
Une forme de racisme mal identifiée
Pourquoi cette controverse sur sa dénomination? L’islamophobie dirait pour certain-e-s la crainte (légitime) du dogmatisme religieux. La «peur de l’islam» n’aurait rien de raciste. Mais ils n’appliquent pas cette rigueur sémantique à la judéophobie et à l’homophobie. Chacun-e sait qu’elles discriminent les Juifs et les homosexuels. Ni à la xénophobie, que tou-te-s nient éprouver.
La dénomination des différentes formes du racisme ne sort pas du silence paisible des cabinets de lecture et tous leurs noms sont impropres. «L’antisémitisme» est né à la fin du 19e siècle. Mais combien de Juifs parlent une langue «sémite» comme langue maternelle? Et certainement pas les Juifs d’Europe que visent les antisémites.
Selon certain-e-s, recourir à ce mot serait un piège islamiste. «Les mollahs iraniens (auraient) utilisé pour la première fois en 1979 le terme islamophobie pour faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de "mauvaises musulmanes" en les accusant d'être "islamophobes", en 1989 la fatwa de Khomeiny contre Salman Rushdie l’aurait réactivé». Caroline Fourest, Libération, 17 novembre 2003.
Pascal Brückner après d’autres, développe la même idée «Forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 1970 pour contrer les féministes américaines, le terme d’«islamophobie», calqué sur celui de xénophobie, a pour but de faire de l’islam un objet intouchable sous peine d’être accusé de racisme», Libération, 23 novembre 2010. La rumeur réapparaît dans Marianne en avril 2011.
Une information documentée a pourtant dissipé la confusion
En 1910, Alain Quellien parle d’«islamophobie» lorsqu’il relève qu’«il y a toujours eu, et il y a encore, un préjugé contre l'islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne».
En 1912, un ouvrage collectif le rappelle, «quoi qu'en disent ceux pour qui l’islamophobie est un principe d'administration indigène, la France n'a rien de plus à craindre des musulmans au Soudan que des non musulmans». La Revue du Monde Musulman en 1912 et 1918, la Revue du Mercure de France en 1912, «Haut-Sénégal-Niger», de Maurice Delafosse, en 1912 et le Journal of Theological Studies en 1924 citent la référence. A une époque qui voit naître le débat moderne contre le colonialisme, la référence à l’islamophobie a le sens que lui donne aujourd’hui le combat contre le racisme.
La terreur des attentats intégristes et de la «décennie noire» en Algérie nourrissent les préjugés. Mais la grande presse, et précisément pour cette raison, n’aurait-elle pas dû faire connaître une information trop ignorée? Frappant des populations musulmanes dans un premier temps, la purification ethnique a joué un rôle tragique dans les guerres en «ex-Yougoslavie», mais cette terreur-là - et pourquoi ? - est moins rapportée.
Le racisme comme fond de commerce
La perte des colonies a affaibli les empires européens et les partis qui combattent l’immigration agitent le fantasme d’une invasion musulmane qui vengerait les victimes du colonialisme. La crise et la rapacité capitaliste ne nourrissent pas la solidarité des autochtones et des migrant-e-s pour la défense des acquis sociaux mais la peur des classes moyennes de partager le peu qui leur reste avec les migrants. Cette peur (phobie) est la source de l’islamophobie moderne.
Peur d’autant plus forte que les gouvernements européens et les partis qui les soutiennent ne la combattent pas. La liquidation des acquis sociaux, certains la veulent et d’autres ne savent comment l’éviter. Et tous n’acceptent-ils pas le pillage colonial, cette bouée de sauvetage qu’ils s’efforcent de regonfler?
Le 12 octobre, les bombardiers français n’ont pas encore permis de tuer Kadhafi. Mais ce jour-là une délégation de 80 entreprises françaises, pour moitié des PME, accompagne déjà à Tripoli le secrétaire d'État français au Commerce extérieur «parce que la France entend réamorcer dès à présent ses échanges commerciaux avec la Libye dont elle était, sous l'ère Kadhafi, le deuxième client et le sixième fournisseur (avec 6% de part de marché en 2010)» (Les patrons français en Libye pour de futurs contrats, Le Figaro, 13 octobre 2011).
Si la promotion de la démocratie est le slogan qui justifie les guerres en Afghanistan, en Irak et en Libye, l’argument facilite évidemment la propagande des partis qui effraient les peuples européens en dénonçant la prétendue infiltration musulmane des migrants.
Dans la bouche du bel Oskar, le bruyant candidat à la vice-présidence de l’UDC, cela donne: «En France, à peu près 6 millions de musulmans ont imposé partiellement leur loi dans certains ghettos. Il est difficile de les rappeler à l’ordre. La dégénérescence est à tel point avancée que les anticorps sont comme paralysés. La capacité de la France à défendre des millénaires de culture occidentale judéo-chrétienne est très avariée. En Suisse on a encore cette possibilité».
Au cours de la même intervention le politicien de Savièse «souhaite vraiment de tout son cœur que l’Union Européenne vole en éclats avec la crise actuelle car elle est soumise à un internationalisme factice qui paralyse les systèmes immunitaires des communautés nationales».
Poids lourds de la banque et de la finance, les barons de l’UDC partagent-ils ce souhait de tout leur cœur? Notre nouveau Charles Martel se rêve-t-il en cousin suisse de la famille Le Pen?
Dimanche 27 novembre a vu Toni Brunner, président de l’UDC, mordre la poussière devant Paul Rechsteiner, président de l’Union syndicale suisse et Christoph Blocher rater sa course au sénat. Des tensions centrifuges vont s’aiguiser au sein de ce parti entre des populistes plébéiens et les grands patrons.
Karl Grünberg
ACOR SOS Racisme