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Québec : Il faut rouvrir le dossier de la langue, l'assimilation pointe à l'horizon
Publié le 28 novembre 2011 par PlusnetLe saviez-vous? Au Québec, la langue anglaise a un pouvoir d'attraction neuf fois supérieur à celui de la langue française. Ce n'est pas la manchette qu'a retenue le communiqué de presse de la ministre Christine St-Pierre lorsqu'elle a laissé paraître un vendredi soir de septembre une série d'études de l'Office québécois de la langue française sur la situation du français dans notre société. Pour Mme St-Pierre, tout va très bien, madame la marquise, même si une lecture détaillée des documents permettait de voir, à chaque tournant, les progrès de l'assimilation.
Dans une de ces études, trois démographes de l'Université de Montréal (Bourbeau, Robitaille et Amorevieta-Gentil) dressent un bilan implacable de la guerre des langues: au Québec, l'anglais sort gagnant des transferts linguistiques. Ces chercheurs ont découvert qu'au recensement de 2006, la langue anglaise a gagné 184 000 locuteurs, la langue française 162 000. Ce bilan inclut l'anglicisation nette de la population de langue maternelle française, plus de 10 000 individus. Si l'on considère que les personnes parlant anglais à la maison ne représentent que 10% de la population totale, contre 81% pour le français, force est de constater qu'en terme de puissance d'attraction, l'anglais demeure la langue dominante du Québec.
Malgré la volonté de francisation contenue dans la Charte de la langue française, le français au Québec n'arrête pas de perdre de sa substance vitale. Les chercheurs de l'OQLF constatent un recul de 1,% sur dix ans; ils prédisent que la population de langue maternelle française va tomber à 77,9 % d'ici 2031 et qu'elle sera minoritaire sur l'île de Montréal d'ici 2021.
Sur le plan de la langue de travail, c'est le fiasco dans les régions où se côtoient les deux grandes langues: un Montréalais sur quatre travaille en anglais, deux fois plus que la proportion d'anglophones, et à Gatineau c'est un travailleur sur trois pour 18% d'anglophones. Dans la région montréalaise, 3 PME sur 4 exigent de leurs employés la connaissance de l'anglais et le recensement de 2006 nous apprend qu'entre le boulevard St-Laurent et la rue Peel, 7% des employés des services déclarent ne pas être capables de soutenir une conversation en français.
Une des raisons de la force de l'anglais, c'est l'argent. Malgré les réformes des années 70, le revenu moyen des emplois à plein temps des francophones est inférieur de 9200 $ par an à celui des anglophones, mieux éduqués et mieux situés dans la hiérarchie sociale. Pour les immigrants, c'est pire. En 2005, la chercheuse Chantal Grondin, de Statistiques-Canada, affirmait que «plus le niveau d'anglais parlé par les immigrants au Québec est élevé, plus ils ont de chances d'occuper un emploi relié aux études ou à la formation deux ans après leur arrivée». Elle ajoutait que «le niveau de français parlé par les immigrants n'a pas d'effet significatif sur leurs chances d'occuper un emploi approprié». En clair, l'anglais paye, le français non.
De petits saignements en hémorragie, il faut bien comprendre ce qui se profile à l'horizon: un seuil au-delà duquel une langue cesse d'être le pôle de la société et où elle devient superflue. À de tels moments, l'histoire des langues s'accélère, elles se transmettent de moins en moins bien et elles s'écroulent en quelques générations. C'est ce qui arrive à la plupart des communautés francophones hors Québec malgré la feuille de vigne du bilinguisme officiel; c'est ce qui menace les langues d'Europe qui ne sont pas langues d'un État-nation. Le gaélique écossais, le gallois, le corse et l'alsacien se portent mal, mais des langues parfois très petites comme le danois (5,5 millions de personnes), le lituanien (3,4 millions) ou l'islandais (276 000) prospèrent.
Ces langues jouissent en effet d'une sécurité étatique que n'a pas le français du Québec. Du fait du carcan de la constitution trudeauiste qui nous a été imposée, la vision canadienne de la langue prédomine: un simple outil de communication qui repose sur des choix individuels à la carte. Cette vision est incompatible avec celle de la majorité des Québécois pour qui le français est un élément essentiel de l'identité, un droit collectif, une langue commune dans laquelle doit fonctionner la société. Et quand il faut trancher entre ces deux visions incompatibles, c'est la Cour suprême qui le fait, au détriment des intérêts de la nation.
Je suis donc partisan de l'indépendance du Québec, seul moyen véritable d'acquérir le contrôle des instruments de sauvegarde et de promotion du français dans les domaines clefs que sont la langue de travail, l'usage public, l'éducation et l'immigration. Le Québec doit être français aussi naturellement que l'Arabie saoudite est arabe, l'Allemagne allemande ou la Chine chinoise.
Cela dit, je ne suis pas de ceux qui attendent le grand soir en vitupérant dans les gradins. Il y a des choses à faire dès maintenant, même dans le cadre étriqué d'une province canadienne. Le Nouveau Mouvement pour le Québec en donne une idée dans un document de réflexion auquel j'ai contribué intitulé «Pour que rayonne notre langue, avant et avec l'indépendance» (www.unnouveaumouvement.org).
Il faut d'abord rétablir la primauté du français en tant que langue de travail. Les études nous disent que les deux premières années de vie professionnelle au Québec déterminent les choix linguistiques futurs. Or 42 % des immigrants montréalais travaillent en anglais, avant tout dans les PME. Il faut donc abaisser le plafond des obligations de francisation des entreprises. La Charte de la langue française le place à 50 employés, cela exclut le tiers des travailleurs. Il faut descendre à 10 employés, tout en prévoyant des modalités plus souples pour celles entre 10 et 24. Il faut également rétablir le droit de tous les Québécois d'être servis partout en français et exiger des mesures correctives de la part des commerces récalcitrants.
Il faut aussi s'attaquer à la question de l'intégration des immigrants. Les partisans du laisser-faire insinuent constamment que l'imposition du français est une idée antidémocratique. Pourtant, on sait peu qu'une dizaine de pays européens exigent des tests de langue de leurs candidats au statut de résident permanent: Autriche, Allemagne, Croatie, Danemark, Estonie, Grèce, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni. D'autres, comme le Portugal, la Finlande et la France imposent ce genre de test à l'étape de l'obtention de la citoyenneté.
Le Québec, lui, est un des rares pays où l'on peut venir s'installer et même devenir citoyen sans savoir un traître mot de la langue nationale. Cela ne pourra vraiment changer qu'avec l'indépendance, mais en attendant, le Québec pourrait se servir de l'entente fédérale-provinciale sur la sélection des immigrants individuels pour exiger la signature d'un engagement d'apprentissage du français dans un délai raisonnable, disons deux ou trois ans. Un tel contrat existe déjà pour l'octroi du certificat de sélection du Québec pour garantir l'autonomie financière du candidat.
Nous devrions savoir où nous mène le bilinguisme à la canadienne. Il mène à Chéticamp, Penetanguishene, Gravelbourg, où des grands-parents ne peuvent plus converser dans leur langue avec leurs petits-enfants. Pour éviter de subir ce sort, le Québec doit s'imposer en tant que territoire où le français est la langue d'usage public unique. Cela non plus n'a rien d'antidémocratique. La Suisse, la Belgique (sauf Bruxelles) fonctionnent ainsi. En déménageant d'une zone linguistique à l'autre, ces Européens n'importent avec eux aucun droit linguistique individuel. Pour le travail, l'éducation, la vie publique, ils doivent s'assimiler à la langue du sol. De même, la survie du Québec en tant que nation passe par une affirmation du français en tant que langue commune sur tout le territoire. Un objectif, à terme, incompatible avec l'appartenance au Canada.
Source : Cyberpresse
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