Il chassait tous les jours.
Il chassait au tiré, à courre,
Au chien courant, au chien d’arrêt,
À l’affût, au miroir, au furet.
Il ne parlait que de chasse,
Ne rêvait que de chasse !
Il avait cinquante ans,
Était chauve, un peu gros maintenant.
Il se nommait le Baron G. de Motteloir.
Célibataire, il habitait un beau manoir.
Il ne rencontrait
Que des chasseurs, ne fréquentait
Qu’une famille
Des voisins aimables, les Courville.
Dans ce château, il était aimé, dorloté.
Il répétait : -Je ne voudrais point les quitter.
Là, il avait toujours
Des histoires de chasse à raconter.
Un jour,
À la fin de l’été
Mme de Courville lui dit :
-Je vais bien parmi mes amies
Vous trouver un bon parti.
Elle choisit
Une veuve de quarante ans
Encore jolie et de caractère charmant.
Elle s’appelait Berthe Loventa
On l’invita
Pour un long séjour au château.
Elle s’ennuyait. Elle vint.
M. de Motteloir lui plût aussitôt.
Elle lui posait des questions
Sur les sentiments des lapins
Et les machinations des renards.
Quelques semaines plus tard,
Le baron, ravi par l’attention
Qu’elle lui donnait,
Et pour lui témoigner son estime,
La pria de participer à l’ultime
Chasse de la saison.
Cette invitation paraissait
Si drôle qu’elle accepta.
Motteloir lui expliqua
Minutieusement la direction
Du vent, les différents arrêts
Des chiens, la façon de tirer.
Puis dans un champ il la poussa
En la suivant pas à pas.
La veuve tira les deux coups
Et Médor rapporta deux perdrix.
Le baron dansait comme un fou.
Il était amoureux, pardi !
Dorénavant, Motteloir
Venait tous les soirs
Causer avec elle.
Une fois Courville l’écoutant
S’extasier sur sa conquête nouvelle,
Brusquement
Lui demanda :
-Pourquoi ne l’épousez-vous pas ?
Le baron, saisi,
Partit.
Il ne revint que trois jours plus tard,
Prit Courville à part :
-Vous avez eu une fameuse idée.
Tâchez de la préparer à m’accepter.
-Faites donc votre demande maintenant.
-Non, je dois faire
Auparavant
Un petit voyage d’affaires
À Paris.
Dès mon retour, je vous donnerai mon avis.
Le voyage dura longtemps. Une semaine,
Deux semaines, trois semaines…
Motteloir ne reparaissait pas.
Les Courville, inquiets, ne savaient pas
Quoi dire à Mme Loventa qu’ils avaient prévenue
De la démarche de Motteloir.
Tous les deux ou trois jours, ils envoyaient
Prendre de ses nouvelles au manoir.
Aucun de ses serviteurs n’en avait reçu.
Un soir, alors que Berthe chantait
Un air ancien, le baron
Entra au salon,
S’approcha de Courville :
-J’arrive à l’instant de notre grande ville
Je suis bien las.
Puis il hésita,
Visiblement embarrassé :
-Cette affaire…est…manquée, tu sais !
Courville le regarda stupéfait :
-Comment ? Manquée ?...
Le baron alors lui expliqua :
-Je ne peux pas.
Ce n’est pas un caprice de môme,
J’agis en honnête homme.
Je n’ai pas le droit, tu entends,
Plus le droit de l’épouser maintenant
J’attendrai que Berthe soit
Partie pour revenir chez toi.
Il me serait trop douloureux de la revoir.
Adieu, lui dit Motteloir.
Toute la famille Courville discuta,
Délibéra, supputa.
Un mystère caché dans la vie du baron ?
Un enfant naturel ? Une vieille liaison ?
L’affaire paraissait grave, ardue.
On prévint Berthe qui s’en retourna,
Veuve comme était venue.
Une demi-année se passa.
Un soir, après avoir diné fortement
Et titubant imperceptiblement,
Motteloir dit à Courville :
-Je pense souvent à votre amie…
Réponse de Courville :
-Quand on a des secrets dans sa vie,
On ne pousse pas ainsi ses pions
Car enfin, tu pouvais prévoir la raison
De ta reculade, assurément.
-Je vois bien que je vous ai tous blessé.
Je vais donc calmement
Tout te dire pour me faire excuser.
Depuis trente ans, mon ami,
Je ne vis
Que pour la chasse. Aussi, au moment
De proposer à Berthe qu’on se fiance,
Un scrupule de conscience
M’est venu. Depuis le temps…
J’ai perdu l’habitude de…
De…de l’amour. Enfin, je ne…
Savais plus si je serais encore capable…
C’eut été invivable.
Voici seize ans…
Que…pour la dernière fois,…tu comprends,
…Dans ce pays, ce n’est pas aussi facile…
Que tirer un coup de fusil !
Bref, au moment de m’engager…
À…ce que tu sais,
J’ai eu peur et me suis dit :
Bigre, mais si…si…,
J’allais rater. Alors pour savoir vraiment,
J’ai fait à Paris ce déplacement.
Au bout de huit jours, rien,
Mais rien.
Et ce n’est pas faute d’avoir essayé !
Elles ont fait ce qu’elles ont pu.
Oui, elles n’ont rien négligé.
Mais que veux-tu,
Elles se retiraient toujours…bredouilles,
Bredouilles, bredouilles !
J’ai attendu quinze jours,
Trois semaines, espérant toujours.
J’ai mangé des choses poivrées
Qui m’ont perdu l’estomac et…
Et rien…Toujours rien !
Tu comprends bien
Que je ne pouvais que…renoncer.
Ce que j’ai fait.
-Je te plains,
Répondit
Courville qui reconduisit
Son ami jusqu’au chemin.
Puis il alla tout raconter à sa femme
Qui objecta :
-Quand on aime sa femme
Cette chose-là…
Revient toujours.
-Oui, ma chère, …peut-être…un jour…