Avant de parler, dialoguer avec Michel Bettane, faut faire gaffe. Demandez au Dr Bonobo les avoinées sympathiques dont il a été le récipiendaire lors de nombreuses sessions du GJE. J'ai également le souvenir de quelques claques de cet homme entier qui ne cessera jamais d'avoir un côté "enseignant", ce qu'il fut.
J'ai donc relu 2 fois les deux papiers majeurs publiés dans le supplément du quotidien LE MONDE, et, Michel, pardonne moi d'avance si tu trouves ici quelques fautes de syntaxe, mes connaissances insuffisantes de la langue française étant sensiblement éloignées des tiennes, agrégé que tu es !
Merci d'accepter l'idée qu'on lira ici les réflexions d'un simplet du vin, quelqu'un assez brouillon partant vite sur les chapeaux de roues et dont le sens des nuances n'est pas son quotidien.
Je lis donc d'un côté que "le terroirisme est devenu la pensée politiquement correcte du moment". J'adhère immédiatement à cette idée, d'autant plus que très régulièrement, je me demande, comme Michel dans son article, pourquoi autant de différences entre un Chambertin de Mortet et un autre de Rousseau, alors que les raisins de ces deux amis proviennent de la même terre délimitée par des moines ou autres ancêtres bourguignons. Ce qui me conduit à toujours affirmer que l'Homme est plus important que le terroir dans le façonnage d'un cru, et naturellement c'est une erreur confirmée par le temps, comme nous le répète à chaque dégustation Monsieur Aubert de Villaine, preuves à l'appui, qu'un vin de noble terre (je n'oserai plus écrire "terroir") a un caractère qui ressort toujours un jour ou l'autre et domine l'humble travail du vigneron attentif. Bref, il y a là un pont à construire.
Pour ceux qui ne trouveront plus cet article du MONDE, qu'il me soit permis de citer ici longuement quelques phrases fondamentales de ce texte :
"La nature du matériel végétal, la culture des sols, le choix de la date de vendange, les levures de caves, tout influe sur le style et le goût du vin. Pour ne se limiter qu'à la vigne, changez les densités de plantation, augmentez la surface foliaire et l'alimentation aérienne, favorisez à l'opposé l'enracinement et la façon de résister à la sécheresse ou à l'excès d'eau, et l'allure et même le bouquet du vin se modifient. Nul besoin de s'étendre sur les complexités de la vinification pour voir à quel point la notion de typicité s'applique mal à l'univers des vins de qualité. Souvent, les amateurs identifient la saveur du vin de leur fournisseur préféré à la "vérité" du terroir. C'est une solution de facilité, peut-être même un acte narcissique : je m'aime aimer un seul type de vin et être ainsi cohérent avec moi-même."
Si je suis brutal de brutal, j'en tire une conclusion probablement fausse qui serait : le fait de l'homme est dominant, et si la nature a un rôle qu'il serait niais de nier, le grand vin naît chez un grand vigneron (et chacun sait qu'un piètre vigneron peut massacrer la terre qu'il travaille).
C'est évidemment assez faux comme réduction, mais bon, continuons, car cela me rassure un tantinet dans mon dada du moment auprès de la critique vineuse : ras le bol des notes de dégustation qui dépendent tellement de circonstances externes et souvent fondamentales (température, verre, état de la bouteille, conditions de conservation, à table ou en comparaison sans mets, etc…). Il vaut bien mieux lire une analyse du style de l'homme qui sera alors mon repère par rapport à mon goût du moment.
Un exemple ? Comparez simplement le Musigny de Roumier et celui de Mugnier. Autant j'aurai un Christian Roger qui défendra le premier, autant je resterai ferme sur ma préférence du second, dont le côté sublimement aérien de ses vins correspond parfaitement à ce que j'attends, actuellement, d'un grand cru de la côte de nuits. Ainsi, quelque soit le millésime, un Roumier sera toujours un Roumier et un Mugnier un Mugnier : chacun des deux accepte ce que lui donne le millésime, mais chacun le construit aussi selon ses propres vues.
Donc, avant de passer de ce premier papier de Michel Bettane sur "…le douloureux sujet de la standardisation des vins" au second (page 18) intitulé "A l'écoute du vin ou comment une sensibilité musicale et l'étude du solfège et de l'harmonie ont ouvert un esprit et formé un discours sur le vin", résumons ce premier billet sur cette notion tronquée de "TERROIR" : à un certain niveau de qualité, le travail d'un californien peut être similaire - dans les résultats - à celui d'un grand bordelais et donc :
"… loin de me mettre en colère contre l'uniformité de leur style, je me réjouis de les voir tous deux rejoindre cette belle famille et je pense alors que, sur cette planète, le soleil, l'air et les sols n'ont rien de métaphysiquement différent."
En résumant ainsi ce premier billet à dire "l'homme est primo et la nature secundo", je sais déjà que je vais me faire probablement morigéner par Michel pour oser réduire ainsi en un simplisme affligeant, une grande page particulièrement complexe et claire à la fois, sur le sujet.
J'assume. Je l'ai dit en introduction, je suis un simplet du vin. C'est assez lâche, j'en conviens :-)
Le second billet est très personnel, tant Michel y explique avec une sensible franchise, comment il est arrivé à parler du vin comme il en parle. Son parcours est jalonné de rencontres, musicales d'abord, puis linguistiques (le grec ancien) et enfin vigneronnes.
Chacun trouvera dans cet article une table de lecture de ce qu'il écrit depuis des années. Il y a là une filiation assez singulière de son approche du vin, à laquelle se rajoute une expérience de maître (il fut prof d'humanités), une phase de sa vie qui transpirera jusqu'à son dernier souffle, n'en doutez pas une seule seconde.
Une certitude : Michel parle toujours de ce qu'il connaît, et que généralement il a contrôlé, vérifié plutôt deux fois qu'une. Ne le cherchez pas là-dessus, ce serait vain, inutile et un peu bête.
Bon : musicalement, si j'ai un réel respect pour Celibidache (les rares DVD existants sont un "must"), je ne souscris pas systématiquement au rythme qu'il donne à plusieurs oeuvres où je préfère d'autres chefs. Mais acceptons le fait que cet artiste a eu, à son insu ?, une réelle influence sur le devenir de critique de Michel Bettane.
Retenons cette exigence extrême de non-compromis que Michel va inclure systématiquement dans ses vues sur le vin, sur le métier de critique (ou journaliste, comme vous voulez) et cela n'ira pas sans lui créer des ennemis haineux et vindicatifs.
Il défend donc là, dans ce second papier, l'idée fondamentale (si j'ai bien compris) qu'un vin ne peut honnêtement s'apprécier que par la connaissance de son environnement, de sa naissance, de son histoire, bref, de tout ce qui est autour de lui; alors que les notes de dégustation avec listing d'arômes à n'en plus finir, sont d'une monotonie rare et tristounette. Bref, à bas les analyses techniques qui veulent en jeter au pékin moyen et vive les nobles exigences exprimées ainsi :
"Il est donc nécessaire pour juger équitablement un vin de noble origine, élaboré selon les traditions historiques européennes, de le concevoir comme une unité et non pas de l'éclater comme le font trop souvent les dégustateurs modernes en sous-sections (la robe, le nez, la bouche, l'arrière-bouche, etc.) qu'on additionne dans un ordre immuable où le bavardage descriptif tient lieu de science."
Soyons un peu taquin : d'abord, Michel, faudra que tu nous dises chaque fois si le vin dont tu parles est "de noble origine" et surtout, béotiens que nous sommes, que tu nous donnes les clés de lecture du cru, tant il est vrai que la très vaste majorité des amateurs est loin, bien loin d'avoir tes connaissances en la matière. Et rien n'est plus frustrant qu'un Maître qui ne nous donne pas ses clés de lecture.
Soyons un peu critique, en posant une question plus jésuite : un esprit tordu (le mien en l'occurence) pourrait dire, à la lecture de ce second papier, qu'à la limite, peu importe le réel ressenti du vin, ce qu'il nous procure de plaisirs ou d'émotions en le buvant, tout cela c'est du pipeau, seule compte la connaissance de "l'origine".
Doit-on aimer un vin qui ne nous plaît pas pour la simple raison qu'il serait de noble "origine" ? Avec un tel cheminement de jugement, ne va t'on pas jusqu'à justifier un beau commentaire à un médiocre Lafite simplement parce qu'il porte le nom de Lafite ?
Bref, une extension audacieuse serait de dire : doit-on donner une réelle importance à l'étiquette car elle, elle est quelque part le blanc-seing de l'origine ?
A partir de quel moment, Michel, dis-tu à un vin de noble "origine" qu'il n'est décidemment pas bon vu le niveau de plaisir/émotion qu'il n'offre pas ?
Ou, dit autrement, jusqu'à quel point doit-on excuser un vin ?
Voilà la question qu'on peut se poser à la lecture du second papier.
Et sans doute qu'un jour, tu nous écriras un billet qui fera la passerelle manquante entre le premier et le second, bref, ton bozon de Higgs, car si d'un côté on doit minimiser la notion tronquée de "terroir" et de l'autre connaître "l'origine" du vin pour vraiment l'apprécier, j'avoue n'avoir point trouvé la passerelle entre ces deux idées majeures.
Ne m'engueule pas, je l'ai dit en intro : je suis un simplet du vin.
PS : ne manquez surtout pas de lire également le beau dialogue dans ce supplément du MONDE entre Alexandre de Lur-Saluces et Aubert de Villaine. Deux très belles sensibilités du monde du vin.
PPS : dans sa mansuétude proverbiale, et avec son sens inné de l'immédiateté de la presse, notre ami Nicolas de Rouyn, sensible aux pleurs des zeus qui n'auraient point pu trouver le supplément du MONDE cité ci-dessus, a mis sur son blog le texte sur le terroirisme de Michel Bettane : ICI . Que les anges et les archanges te reçoivent,le moment venu, avec les trompettes d'Aïda ! :-)
QUELQUES EXPRESSIONS DE MICHEL BETTANE AU DERNIER WWS A VILLA D'ESTE(© Borlant)
Andante amabile
Allegro moderato
Vivace quasi forte
allegretto sostenuto