Empire et capital

Publié le 28 novembre 2011 par Les Lettres Françaises

Empire et capital

L’historienne Ellen Meiksins Wood trace un portrait historique extrêmement stimulant des rapports entre impérialisme et capitalisme.

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L'empire du capital d’Ellen Meiksins Wood

Marx n’a pu écrire le livre du Capital consacré au marché mondial tout comme il n’a pu mener à bien celui sur l’État. Son analyse du capitalisme a eu pour objet un modèle « abstrait » dont les données empiriques étaient fournies par le cas de la Grande-Bretagne. Il faudra attendre, la génération suivante des marxistes de la IIe et de la IIIe Internationale pour que le capitalisme puisse être envisagé comme un système mondial, dont l’impérialisme était diagnostiqué par Lénine, Rosa Luxemburg ou Boukharine comme un élément constitutif. Il restait toutefois à étudier historiquement, dans la longue durée, les rapports entre l’impérialisme et le capitalisme. C’est l’objet du petit livre extrêmement stimulant de l’historienne Ellen Meiksins Wood, l’Empire du capital, un livre qui constitue un excellent complément à son ouvrage précédent sur l’origine du capitalisme. Le point de départ de la réflexion de l’auteur est la distinction conceptuelle à maintenir entre « l’impérialisme » et le « capitalisme ». Cette distinction doit être affirmée car si les deux réalités ne s’opposent pas, elles ne doivent pas être confondues pour autant. En effet, les logiques impériales sont bien antérieures à celles du capital, l’impérialisme pouvant se manifester dès qu’une classe dominante et son État soumettent divers régions et pays pour en tirer des ressources et accumuler des richesses. Ces modes d’accumulations sont divers et cette diversité n’est pas négligeable car elle entraîne des profils d’empire très variés. Meiksins Wood propose une typologie extrêmement intéressante, distinguant, notamment, des « empires de la propriété », dont un des modèles types est évidemment le modèle romain dont la logique d’accaparement des terres au profit des classes sénatoriales est allée de pair avec une gigantesque accumulation d’esclaves. Selon l’auteur, il n’y a  pas à chercher dans ces modes de pillages et de contraintes militaires et politiques les premières traces de l’impérialisme capitaliste. Il n’y a pas lieu de les chercher non plus dans un modèle plus proche, celui des « empires commerciaux » que constituèrent Venise ou la Hollande à l’époque moderne. La prise de contrôle de « villes comptoirs », d’îles stratégiques ou de réseaux maritimes correspondait à des objectifs marchands, car il s’agissait surtout de se garantir des situations de « rentes » dans un contexte où la supériorité économique ne passait pas par le jeu de la concurrence mais par la domination militaire. C’est l’Angleterre et sa politique coloniale en Irlande et en Amérique, à partir du XVIIe siècle, qui correspondent à la première rencontre des logiques impériales et capitalistes. Dans ces colonies, l’Angleterre ne poursuit pas prioritairement le pillage ou le monopole mais la transformation sociale pour y instaurer des impératifs économiques strictement capitalistes (propriété individuelle, salariat, contraintes du marché). L’empire américain poussera cette logique à son comble, abandonnant tout discours platement colonialiste pour mieux prétendre instaurer la liberté marchande et le droit au commerce. C’est ce qui explique par ailleurs sa vigueur actue lle, malgré les failles d’un discours qui ne dissimule plus les volontés de domination mondiale toujours en place outre-Atlantique.

Baptiste Eychart

L’Empire du capital, d’Ellen Meiksins Wood, traduit de l’anglais par Véronique Dassas et Colette St Hilaire, Lux. 232 pages, 18 euros.