Il y a un moment dans la vie où il faut sortir ses émotions. Ecrire est ma thérapie. J’ai toujours beaucoup aimé écrire. J’en ai d’ailleurs fait, en quelque sorte mon métier.
Enfin, c’était mon métier.
Oui, c’était, parce que depuis le mois de mai dernier, j’ai rejoint à 39 ans, la grande famille Pôle emploi, pour la toute première fois de ma vie.
Pendant l’adolescence, pendant que certaines jouent encore à la poupée où que d’autres connaissent leurs premiers émois stylesque, hairlesque, ou amouresque, moi, j’ai été piquée par le virus de la politique.
Je trouvais cet univers fascinant. Le fait d’adhérer totalement à des idées, de pouvoir contribuer à changer les choses, de s’engager tout simplement, était pour moi une bouffée d’oxygène.
A 17 ans, j’ai franchi le Rubicon. J’ai adhéré à un parti. J’ai trouvé une deuxième famille. J’ai participé à des débats. J’ai appris à parler en public, à défendre mes idées. J’ai appris à coller des affiches le soir, en défiant la marée chaussée. J’ai occupé des bureaux. J’ai appris la vie, tout simplement.
Et quoi de plus naturel que d’en faire mon métier ?
Mon rêve s’est réalisé par un pur hasard d’une annonce dans la presse.
J’ai été recrutée.
Je suis devenue collaboratrice parlementaire et je suis montée à la Capitaleu.
Je n’étais pas peu fière. Je me suis retrouvée propulsée du jour au lendemain sous les lambris dorés de la République. Moi la provinciale qui n’a pas étudié à Sciences Po.
Ho bien sûr, mes collègues m’ont bien fait la blague « tu as laissé tes bottes en caoutchouc à l’entrée ? » ou affublé du surnom de la « Boulangère » parce que j’avais été serveuse en boulangerie. Mais rien ne m’atteignait.
J’avais réalisé mon rêve.
J’ai grandi au sein de ce Parlement. J’ai beaucoup travaillé. J’ai beaucoup appris. J’ai gagné en assurance. J’ai su me faire apprécier par mes collègues. Ils sont devenus eux aussi ma deuxième famille. De là, je n’ai plus compté mes heures. Je n’avais que très peu de vie sociale. On m’appelait tout le temps, souvent pour des broutilles, le soir, le samedi, le dimanche.
Les veilles de vacances, notamment à Noël, quand tous mes collègues buvaient un verre (ou plusieurs) lors de nos fameuses soirées au bureau, j’étais dans le bureau du Président entrain de terminer les cartes de vœux jusqu’à 23H.
Je faisais les séances de nuit aussi. J’adorais les séances de nuit. On travaillait beaucoup, mais mieux parce qu’il n’y avait pas le stress du téléphone toutes les 5mn. On se sentait soudés pendant les séances de nuit. Que l’on termine à minuit ou 3h du matin, à 9h le lendemain, j’étais à mon poste. Ce qui me valait souvent les « t’as dormi là ? » moqueur jalouse des secrétaires. Je m’en moquais. J’adorais mon travail.
Et puis en 2004, un nouvel élu est arrivé. Quelques jours après son élection, il est entré dans mon bureau et me dit qu’il cherche une assistante qui connait bien le métier et les rouages du Parlement. Il tombait bien, je commençais à tourner en rond après 7 ans. J’ai dit oui.
Et là, j’ai découvert un autre monde. Celui des assistants parlementaires.
C’est un travail merveilleux. Ingrat, très ingrat, mais formidable.
Il faut être multi-tâches pour exercer la profession d’assistant parlementaire, mais l’ennui ne nous gagne jamais.
Mon employeur m’a fait confiance et m’a demandé de lui rédiger ses discours. On ne m’avait pas encore donné l’occasion de le faire (à part quelques communiqués de presse). J’ai eu peur, j’ai eu la pression. J’ai travaillé comme une dingue. Le premier discours, on l’a retravaillé ensemble, mais la base était bonne. Cela m’a donné confiance en moi…. Et des discours, j’en ai écrit des dizaines et des dizaines depuis.
Ce n’est pas tout, un assistant parlementaire est à la fois secrétaire, assistante, attachée de presse et conseiller politique.
J’organisais l’agenda, je préparais ses interventions télévisées, je recevais les particuliers venus m’exposer un problème lors des permanences. Et puis, le soir venu, et le week-end, quand tout était calme, je pouvais enfin rédiger les discours.
Tout allait bien. J’étais heureuse, épanouie, je gagnais correctement ma vie. Pas à la hauteur de ce que je travaillais, mais je n’étais pas malheureuse.
Et puis, ce que j’aimais le plus au monde, la politique, est venu gâcher ce bonheur.
Enfin, non, pour être précise, ce n’est pas la politique qui a tout gâché, c’est la politique-politicienne. Les petites cuisines entre amis, le désir de vengeance, le désir de terminer une carrière en beauté, le souhait plus qu’ardent d’obtenir un portefeuille ministériel.
La machine s’est emballée d’un coup sans que je ne sente rien. On m’a tenu à l’écart des projets pendant de longs mois. Certainement parce que j’étais une fille (ça j’en suis convaincue). Et puis un jour, un article sort dans la presse. Et ce jour là, j’ai tout compris. J’ai surtout compris que ma vie professionnelle n’allait plus être la même. Et j’ai vu mon employeur se dérouter totalement de l’objectif premier que doit être un mandat parlementaire. Je l’ai vu rouler pour lui au service de ses ambitions et non de ceux de nos concitoyens. J’ai eu un mouvement de recul.
La machine m’a emportée moi aussi. Il faut dire qu’ils savent y faire à coup de « il n’y a que toi qui puisse t’en occuper », « à qui d’autres que toi je puis confier cette tâche ? ». Alors, en plus de toutes mes tâches quotidiennes, je me suis retrouvée à m’occuper de choses qui sortaient totalement des attributions de mon emploi. Mes semaines de boulot se montaient à 50 H, sans que je sois payée plus. Mais, je me disais que j’allais recueillir l’estime éternelle de mon employeur.
Jusqu’au jour où tout dérape. Les orientations politiques changent. L’entourage change. Et on vous demande vous aussi de changer d’orientation politique.
J’ai dit non.
Et ce « non »a mis un point final à ma carrière.
Ho, au début, je ne le pensais pas, puisqu’on m’a assuré que c’était fort dommage ; Que j’aurais été fort utile si j’avais bien voulu continuer à m’occuper de ses taches « hors contrat » mais que je peux assurer les tâches qui m’ont été confiées au premier jour, sans problème.
Et puis, au fur et à mesures des semaines, je me retrouvais de plus en plus seule. Des journées, voir parfois des semaines, à ne plus voir personne. Je tenais le mandat à moi seule. Je ne pouvais plus rien faire pour ces personnes qui venaient me voir, puisque mon employeur était parti vers d’autres cieux.
J’avais de plus en plus de mal à partir de chez moi le matin. Cette mise au placard insidieuse a eu raison de ma motivation.
Et puis, l’agressivité au bureau a fait place au « simple » désintéressement de ma petite personne. De fait, j’ai commencé à faire des crises d’angoisse, de la spasmophilie. On m’a dit « tu as un problème de comportement ». Alors, je suis allée voir un psychiatre.
J’ai eu des mots sur ce qui m’arrivait « harcèlement moral », même si j’ai toujours du mal à coller cette expression à mon expérience.
Je me suis enfoncée dans la dépression. Je me couchais le soir dès que j’arrivais chez moi. Je pleurais au bureau. J’avais des malaises de plus en plus fréquents dans les transports.
Finalement, l’inévitable arriva : rupture conventionnelle…
J’en ai rempli des seaux de larmes. Ma vie s’arrêtait. Puisque mon boulot, c’était ma vie, c’était ma passion.
Et puis, la tristesse a fait place au dégoût.
Alors, quand il a fallut que je commence à chercher un autre poste, je me suis naturellement dirigée vers autre chose que la politique. Je ne pouvais plus, je n’y crois plus. Moi la passionnée, le virus m’a quitté.
Mais, on n’en sort pas comme ça. Et pour l’instant, quand je suis reçue par un recruteur pour un poste d’attachée de presse, après avoir jeté un œil à mon cv, on me demande « de quel bord êtes-vous ? », « quel était votre employeur ? » et pire encore « si l’élection présidentielle avait lieu demain, pour qui voteriez vous »… je ne m’en sortirai jamais de ce milieu qui a fait de moi une princesse, mais qui m’a déchue du jour au lendemain.
Pourtant, je suis restée la même, sauf que je n’ai plus de conviction. Elles sont si bien enfouies au fond de moi, que je ne les vois plus, je ne les sens plus.
C’est fort dommage qu’un recruteur se borne à mon cv pour savoir si oui ou non, je suis capable de m’investir à fond sans leur casser les pieds. Ils ne voient donc pas dans mes yeux et dans mes paroles, ce dégoût de la chose dont ils sont entrain de me parler ? Pourquoi m’appellent ils pour un entretien ? Pour évacuer ce même dégoût qu’ils ressentent eux aussi ? Pour que je morfle à la place de ceux qui sont vraiment responsables ? J’ai un profond respect de la hiérarchie, et je me bats comme un autre, pour un produit auquel je crois.
En France dit on, il n’est pas aisé de sortir d’un carcan, oui, je le crois.
Quelle place a cet article dans un blog beauté ? Je me dis que si j’arrive à faire sortir cette aigreur que j’ai en moi, je serais plus belle.
La futilité a pour un temps remplacé ce qui avait le plus de sens pour moi. Ce blog, sans prétention aucune (et ça se voit) est pour moi un exutoire quand je n’en peux plus d’écrire encore et encore des lettres de motivation. Il me sert également à repartir quand je sens que la motivation me quitte.
Ce blog est récent et ne demande qu’à évoluer (ou pas), mais il me fait du bien. Et comme pour tout, j’assume toujours et totalement ce que je fais.
Je me dit qu'écrire cet article finalement, m'aidera peut être à tourner une page. Le deuil de mon travail, je l'ai fait et bien fait. Le deuil de la déception, pas encore.
Dès demain, je retourne à mes pots de crème