Le soir de Noël, un petit cadeau à glisser dans les chaussures d'un lecteur toujours en quête de nouveauté, : un malicieux roman de Jacques Fortier, "Quinze jours en rouge", chez Le Verger Editeur.
Vous ferez plaisir de plus d'une façon. D'abord, il est très joli, cet ouvrage, dont la première de couverture dessinée par Vlou, joue sur le mat et le glacé, le plat et le relief et montre en filigrane, se découpant dans le vide du ciel, un grimpeur audacieux hissant un drapeau, tout en haut de l'unique flèche de la cathédrale de Strasbourg! Ensuite, car ce serait faire injure à son auteur que de réduire l'intérêt pour son ouvrage à sa présentation, et loin de moi cette intention! Mais il est vrai n'est-ce pas, qu'un livre, c'est un tout. Qu'on se l'approprie déjà par le toucher, la visualisation de son titre, son poids, son odeur. Bref, dans ce cas, l'ouvrage est réussi. Et comme on est heureux d'avoir entre les mains un livre réussi! De penser à la rencontre des magiciens qui se sont penchés sur son sort: l'auteur, bien sûr, mais aussi le maquettiste, l'illustrateur(trice), l'éditeur, surveillant amoureusement sa nouvelle couvée d'"enquêtes rhénanes". Nous le sentons, nous, lecteurs, qu'il y a du bonheur dans la fabrication de cette collection. Et nous nous inscrivons sans complexes dans la chaîne des magiciens guidant le livre vers son plein succès. Ensuite, donc, l'heureux destinataire de votre présent vous sera reconnaissant pour le moment de plaisir indéniable que vous lui aurez procuré par la lecture de ces "Quinze jours en rouge".
Car l'auteur est passé maître dans l'art de tisser les fils d'une intrigue à plusieurs entrées. Ouverture sur un épisode historique oublié, le retour des soldats alsaciens enrôlés dans la marine allemande pendant le conflit de 14-18. Mais retour singulier car ces jeunes gens rapportent avec eux l'esprit révolutionnaire qui embrase l'Allemagne de l'époque, au grand ébahissement de la population de Strasbourg découvrant un beau matin, un drapeau rouge au somment de la cathédrale! Tissage ensuite d'une intrigue amoureuse faisant hésiter le héros entre la blonde Violette et la brune Tania. Puis, se dévide l'histoire policière qui est la marque du genre emprunté: l'enquête menée par l'un des jeunes soldats sur l'assassinat d'un professeur de harpe.
Mais le talent de Jacques Fortier est incontestablement de savoir parler de choses graves sans jamais ennuyer. Bien que le travail de documentation soit dense, l'ouvrage ne se pique pas d'érudition, au contraire. Ce sont les dialogues, très vivants, qui permettent les nombreux échanges de vue sur l'identité d'une région marquée par les aléas de l'histoire. Française avant 70. Allemande depuis 70. Puis Française en 1918. Mais que veut-elle, la région, en définitive au moment de l'armistice en Novembre 1918? Il n'est pas si courant que soient abordés sans faux-semblant ces thèmes qui bousculent les images d'Epinal ayant servi à l'édification du sentiment d'identité nationale, ici et dans le reste de la France, "La France de l'intérieur", comme on dit. Pas si courant que l'humour soit présent malgré la gravité des débats. Il est vrai que le grand Sherlock Holmes veille, sinon lui, du moins quelqu'un le connaissant bien, le célèbre Conan Doyle, éditeur des chroniques du Docteur Watson, aperçu à une table du Stadtwappe...
Clin d'oeil, mise en abyme! Nous avions connu le héros du roman, Jules Meyer, alors qu'il était petit garçon dans l'ouvrage précédent. Souvenez-vous! Il s'agissait de l'enquête du grand détective au château du Haut-Koenigsbourg. Et le pastiche reprend ses droits. Il faut bien avouer que Jacques Fortier excelle à ce jeu-là, lui permettant toutes les audaces, amours à l'eau de rose, belles espionnes à la Maurice Dekobra, anachronisme savoureux de certains propos, invraisemblances des situations. Qu'importe! Nous succombons au charme du genre. Nous répondons au clin d'oeil de l'auteur. Nous empruntons ses codes, en lecteurs comblés que nous sommes.
Photo du Stadtwappe empruntée Ici