Jean-Paul Troadec hausse le ton.
Nous ne sommes pas au bout de nos peines : après la publication de la transcription intégrale du CVR (cockpit voice recorder) de l’AF 447 dans un livre de Jean-Pierre Otelli qui défraye la chronique, voici qu’est annoncée l’arrivée en librairie de l’ouvrage «Crash Rio-Paris, les secrets d’une enquête» (1). L’auteur en est un journaliste d’investigation américain, Roger Rapoport, qui a mené un travail minutieux mais sans concessions (1). Nous y reviendrons.
C’est une situation éditoriale sans précédent : déjà deux livres, d’innombrables articles publiés par la presse quotidienne française et étrangère, une exposition médiatique sans précédent pour un accident aérien, fût-il très grave. Il est vrai que les circonstances sont particulières (on tend déjà à l’oublier), les enquêteurs du Bureau accidents et analyses pour la sécurité de l’aviation civile, le BEA, ayant travaillé pendant deux ans sans épave, sans enregistreurs, sans images radar. D’où la crainte que l’AF 447 ne rejoigne la liste heureusement courte des accidents non élucidés. Mais, finalement, il n’en sera rien.
Jean-Paul Troadec, directeur du BEA (notre illustration), a levé le doute lors d’un colloque consacré à la gestion de crise organisé à Aix-en-Provence par l’Ifurta, Institut de formation universitaire et de recherche du transport aérien. «J’affirme que l’enquête du BEA sera conclusive et que les efforts déployés au cours des recherches de l’enquête n’ont pas été vains», a-t-il déclaré haut et clair, ajoutant que l’ensemble de la communauté aéronautique sera en mesure de tirer les enseignements de sécurité de la catastrophe du 1er juin 2009. De plus, annoncé pour le deuxième trimestre de 2012, ce rapport final donnera l’occasion au BEA de faire «un effort particulier de pédagogie et d’explication».
Cet engagement suffira-t-il à apaiser les esprits ? La question est d’ores et déjà posée, compte tenu de la grande nervosité ambiante. Jean-Paul Troadec le reconnaît spontanément : «ce phénomène médiatique a révélé un grand nombre de spéculations, rumeurs, voire de déclarations ahurissantes». Et c’est précisément à ce propos que la manière de s’exprimer du directeur du BEA a profondément changé : le voici soudainement plus revendicatif, lui qui, tout comme ses plus proches collaborateurs, avait jusqu’à présent soigneusement évité de répondre publiquement aux critiques qui lui étaient adressées.
Le BEA a déployé des efforts d’information sans précédent (communiqués, conférences de presse, informations mises en ligne) «pour finalement être taxé par certains d’être opaque, de cultiver le secret, ou, pire encore, d’être soumis à la pression politique et aux intérêts industriels». Et de dénoncer de pseudo faits nouveaux soi-disant occultés ou encore «la manipulation dont sont fréquemment l’objet les familles de victimes à qui l’on essaie de faire croire des thèses, parfois certes plausibles, mais non fondées et parfois extravagantes». En un mot comme en cent, cette fois-ci, Jean-Paul Troadec se rebiffe.
Quarante-huit heures plus tôt, s’adressant aux étudiants de l’Ifurta, Martine Del Bono, directrice de la communication du BEA, avait rappelé l’environnement multiculturel sensible de l’AF 447 et, les réponses aux nombreuses interrogations n’étant pas encore formulées, elle avait dénoncé l’apparition de la théorie du complot.
Aujourd’hui, des questions de tous ordres bousculent les esprits. Ainsi, c’est précisément dans le cadre de l’Ifurta qu’Etienne Lichtenberger, directeur de la sécurité des vols d’Air France, a évoqué l’atténuation des risques identifiables et la notion de «risque acceptable». Deux mots qui mériteraient un long débat : qu’est-ce qu’un risque acceptable ? Où placer le bon sens ? Faudrait-il réintroduire la notion de BSP, bon sens paysan, dans un environnement très technique qui n’est pas habitué à faire appel à de telles notions ? Corinne Bieder, membre de l’équipe sécurité d’Airbus, a esquissé une première piste : le risque constitue une incertitude, a-t-elle dit, la gestion des risques est devenue une vraie discipline, à la recherche de la limite de l’acceptabilité.
Ainsi se renforce une notion difficile à cerner, celle de management du risque. Pire, le «risque acceptable». Pour qui en douterait encore, le débat ne fait que commencer.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) les deux ouvrages sont publiés par les Editions Altipresse, Levallois-Perret, [email protected], téléphone 01 47 30 53 10