Où quelques Gaulois égarés au pays du Soleil Levant découvrent la vraie ponctualité, les ancêtres des robots animaloïdes, ainsi que les premiers e-wc.

Publié le 26 novembre 2011 par Anne Onyme


En ces temps reculés où l’Internet était encore dans l’enfance, nous avions pris l’habitude à la Compagnie Bancaire d’organiser pour nos apporteurs d’affaires des voyages d’études aux USA, au Japon, en Chine… Les voyages forment la jeunesse, c’est bien connu, et accroissent aussi les liens entre personnes et entités… et donc favorisent les affaires…
Permettez-moi tout d’abord de vous rappeler que les filiales du groupe de la Compagnie Bancaire étaient - elles le sont toujours d’ailleurs, mais sous une autre oriflamme - spécialisées dans la distribution de crédits selon un processus - on dirait aujourd’hui un business model- assez novateur lorsqu’il a été mis en place après la 2ème guerre mondiale. Ces filiales avaient en effet très peu d’agences, préférant proposer leurs formule de financement directement dans le magasin où le client venait acheter ses meubles, sa voiture, sa maison, son camion pour une entreprise, son tracteur pour un agriculteur, etc, etc… Cela lui facilitait la vie (un seul déplacement), et aidait le commerçant à écouler sa marchandise…
Dés la fin des années 1980, l’Atelier dont je m’occupais au sein de ce Groupe, a été fortement impliqué dans l’organisation de ces voyages, pour faire découvrir le début du commerce électronique aux USA, ou l’industrie japonaise du multimédia…
Justement, je vais vous conter un magnifique voyage que nous avions fait avec l’ex UFB Locabail au Japon en 1991… L’UFB (maintenant BNP Lease) était, et est toujours, spécialisée dans les crédit pour l’achat de matériels d’équipement pour les PME (informatique, photocopieurs, camions, grues, tracteurs, etc..)
Or donc, nous partîmes une trentaine (nous sommes revenus à trente je vous rassure tout de suite…) sous la houlette de mon ami Jean-Charles Bossard en charge à l’époque à l’UFB du marché des matériels de gestion. Et par ailleurs grand animateur de groupe devant l’Eternel, surtout dans les autobus. Comme le Japon n’est pas un pays où la circulation automobile est fluide, JC comme on l’appelle, a tout de suite pris l’habitude de faire les réunions de débriefing dans l’autobus… J’avais participé à l’organisation de ce voyage avec Michel Debord, consultant peu connu en France, mais très connu au Japon… Quand Michel arrive à Narita (l’aéroport de Tokyo), le Président de Matsushita lui envoie sa limousine et son chauffeur pour le conduire à son hôtel. On a des relations ou on n’en a pas…
Nous étions logés pour la semaine dans les derniers étages d’un magnifique hôtel situé à côté du Palais Impérial, à Tokyo. Je dois dire que cela tanguait un peu de temps à autre du fait de mini-tremblements de terre… C’est angoissant, mais on s’y habitue assez vite… Un Homo Sapiens travaillant à la Compagnie Bancaire, s’habitue vite à tout… Enfin presque…
Donc tout s’annonçait sous les meilleurs auspices. 
Mais dés le lendemain de l’arrivée, problème…
France Telecom n’aime pas être réveillé par une sonnerie de téléphone
JC avait demandé au desk de l’hôtel de réveiller nos gens dés 6:30 du matin pour aller je ne sais plus où… Et l’un de nos honorables participants nous a fait un patacaisse pas possible… Il ne concevait pas d’être réveillé de cette façon… Il s’agissait de mon ami Robert Veilex… Robert, à la retraite aujourd’hui, était « le veilleur technologique » du France Telecom de l’époque. Un type sympa au demeurant : de longs cheveux blancs, une barbe blanche tout aussi longue, un peu voûté et grincheux, et je dois dire « qui ne se prenait pas pour n’importe qui ». Il avait donc probablement fait l’X… JC a dû gérer cette mini crise, car elle a éclaté au vu et au su de tout le monde dans le bus, ce qui n’est pas très bon pour un voyage d’études qui démarre et où les participants ne se connaissent pas encore très bien… Bon.
Petite parenthèse : je dois dire que dans les voyages que j’ai pu faire avec mes amis de la Compagnie Bancaire ou de l’Aftel (Acsel maintenant), ma hantise était ce que j’appelle « la négligence horaire du Gaulois »… On est infoutu d’être à l’heure, et pour avoir tous les gars le matin au départ du bus, ou pour un réunion qui démarre : c’est là croix et la bannière. Mais vous allez voir plus loin : être en avance : c’est pas bien vu non plus au Japon… Mais reprenons…
Des robots créent (presque) un incident diplomatique…
Le lendemain je crois, nous devions être reçu par le staff de Toshiba pour comprendre la vision du multimédia de ce noble keiretsu japonais. On commençait en effet à parler beaucoup du multimedia à l’époque (en France des esprits éclairés parlaient « des » multimédias – je n’ai jamais très bien compris pourquoi l’emploi de ce double pluriel…).
Nous avions donc un peu de temps avant le début de la réunion et nous avions proposé à nos honorables participants faire un peu de shopping dans l’espèce de centre commercial à côté de la tour abritant le quartier général de Toshiba.
Là aussi, angoisse pour ma pomme, car récupérer une troupe de gaulois en train de faire du shopping à l’étranger, c’est jamais très facile. Et il faut l’expérience d’un chien de berger béarnais pour les rassembler, surtout si le centre commercial est grand. 10 minutes avant l’heure fixée j’étais au point de ralliement… et qui je vois arriver dans les premiers ? Mon ami Robert, le gars de France Télécom qui n’aime pas être réveillé par un téléphone. Il me montre son achat : des oiseaux électroniques, de petits robots en quelque sorte, qui lorsque l’on appuie sur un bouton se situant sous la queue se mettent à piailler à qui mieux mieux… Il en avait acheté 5 ou 6 pour ses neveux… Et très fier, Robert appuie sur le bouton… Effectivement piaillements sympathiques… Sauf qu’il n’a pas réussi à les arrêter… Panique à bord… On ne pouvait pas rentrer chez Toshiba avec des oiseaux qui piaillent et Veilex voulait absolument participer au meeting (vous savez comment sont les X, quand ils ont quelque chose dans la tête, même un énarque ne peut le faire changer d’avis)… Après moultes tentatives, l’un d’entre nous (un marchand de phocopieurs de Nice) a trouvé par hasard le mécanisme d’arrêt…
Ouf, encore un problème de réglé…  Et, l’esprit a peu près rasséréné, nous voilà entrant dans la grande salle du conseil de Toshiba au dernier étage de la tour… Immense table sombre vernie en carré autour de laquelle un peu plus de 100 personnes pouvaient se tenir. Devait y avoir pas mal de chefs chez Tos…
On nous fait mettre sur l’un des côtés, les places étant assignées… Là aussi c’est assez compliqué de gérer le Gaulois, chacun voulant se mettre là où il veut… On leur fait comprendre que les membres de la direction de Toshiba ont un « plan de table » avec nos noms et nos fonctions, et qu’il vaut mieux que cela corresponde… Bref, on s’installe, chacun fourrant au mieux derrière son fauteuil les emplettes réalisées. Les Japonais entrent les uns derrière les autres, le plus gradé en premier. Il s’installe de l’autre côté de l’immense table, juste devant notre JC, chef de mission… Les autres, comme à la parade se placent de part et d’autres : pas de faux pas… Nous nous levons, légère courbette. Tout le monde s’assoit : la réunion démarre… les Français d’un côté, les Japonais de l’autre. Impressionnant, silence pesant… On aurait pu entendre une (vraie) mouche voler…
Naturellement Debord nous avait fait préparer les questions au préalable et nos amis japonais y ont répondu … en japonais. Nous avions notre traductrice… Bref, tout cela ressemblait à un spectacle bien huilé, à un kabuki qui se déroulait admirablement. Le dénouement approchait. Je me préparais, lorsque nous sommes arrivés à l’heure des questions ouvertes, à poser ma question… quand tout à coup…
Les robots de Veilex se sont mis à piailler à qui mieux mieux… Imaginez la scène… les Français se sont mis à rigoler franchement de leur côté en se tapant les côtes, les Japonais ont fait grise mine du leur… Que dis-je grise mine, ils étaient blancs… Enfin façon de parler… Crime de lèse-majesté…
JC et moi avons fait taire tout le monde rapidement, et Debord a présenté au nom du groupe nos excuses… JC, légèrement coquin qu’il est, a quand même fait remarquer, lors de la remise du cadeau au chef de Toshiba,  qu’il s’agissait d’une technologie japonaise dont le maniement était ignoré par les ignobles étrangers que nous étions..
On a bien rigolé dans le bus au retour. Et cela a soudé le groupe. Mais on ne sait toujours pas pourquoi les dits robots oiseaux se sont mis en route… Comme quoi, faut se méfier des robots, comme nous l’a déjà dit Asimov qui s’y connaît.
Et le voyage s’est poursuivi… Nec, le Miti, petite journée de tourisme à Kyoto en prenant un billet aller et retour dans le Sinkansen (on n’a pommé personne dans les temples). Bref, le voyage touchait à sa fin et je devenais de plus en plus zen… tout se passait bien… Sauf que…
Avant l’heure, ce n’est pas l’heure…
Sauf que nous avions prévu de visiter une usine de fabrication de téléphone de Matsushita. Usine située à Yokohama. Ce qui n’est pas très loin du centre de Tokyo où nous avions nos quartiers… Mais, du fait du trafic, JC et Debord nous avait fait réveiller dés potron minet pour prendre le bus… JC avait réglé le problème du réveil de Robert… On était convenu que l’on ne réveillait pas notre ami par téléphone, et qu’on lui laissait utiliser son réveil… Car le madré Veilex était venu avec son réveil.
Au cas où le réseau téléphonique s’effondre dans un tremblement de terre ?
Or donc, nous voilà parti dans la brume du matin pour Yokohama. Et on ne sait pas pourquoi, mais ce jour là, le trafic était plutôt fluide. J’étais tout content : on serait à l’heure… Le bus rentre dans la cour de l’usine et s’arrête devant le perron. Debord, JC et la traductrice entre pour nous annoncer… Et on les voit revenir à toute allure en nous faisant remonter précipitamment dans le bus, qu’ils font démarrer en trombe pour sortir de la cour…
Interloqués, nous leur demandons ce qui se passe… Simple : nous avions 15 minutes d’avance… Et les Japonais qui avaient prévus une petite réception à notre arrivée n’étaient pas prêts... La gaffe, quoi…  On a fait plusieurs fois le tour du quartier, chacun de penser « sont fous ces romains »… A 9 heures moins une, le car entre dans la cour de l’usine..  Effectivement une dizaine de japonais nous attendaient sur le perron chacun agitant un petit drapeau français… Et chaque camp a fait comme si de rien n’était… Avant l’heure : c’est pas l’heure, après l’heure ce n’est plus l’heure… La réunion s’est très bien passée…
Je me suis même permis de demander en cadeau un casque de chantier. On nous a en effet fait visiter un truc en construction dans l’usine : chacun a eu droit un casque. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai voulu garder le mien comme souvenir… Un casque blanc tout bête avec un liseré bleu et rouge sur le bord, et une inscription en japonais sur le devant… J’aurais mieux fait de ne rien demander… Car il a fallu aller déranger au moins 3 niveaux hiérarchiques pour décider de me le donner ou non, chacun refusant de prendre la décision… Cela nous mettait en retard pour la réunion suivante au centre de Tokyo.. Là c’est moi qui étais en faute… Comme quoi…
J’ai toujours ce casque qui trône dans mon bureau chez moi, car le directeur de l’usine me l’a en définitive accordé… Il me l’a apporté lui-même au pied du bus… Mais j’ai bien vu dans son regard qu’il devait penser « Sont fous ces romains »…
Madame Billaut a essayé plusieurs fois de mettre à la poubelle ce trophée conquis haut la main, prétextant que c’était un nid à poussière. J’ai tenu bon. Enfin jusqu’à présent.
Faut faire gaffe aux écrans tactiles…
Bref, à part ces quelques péripéties, cela se passait plutôt bien, et l’heure du retour approchait… Et comme nous savions y faire à la Compagnie Bancaire, nous avions prévu pour le dernier soir un repas d’adieu dans le plus vieux (et très select) restaurant de Tokyo, qui est en fait une très vieille ferme au milieu de l’imbroglio de la ville. Repas traditionnel, servis par quelques geishas de derrière les fagots, en grande tenue d’apparat…
Ce qui a fait dire à certains de nos apporteurs d’affaires «  quand même, ces types de la Bancaire, ils savent vivre… (ce qui ne nous a pas empêché d'être racheté par BNP Paribas) ». J’étais assis à côté de Luc Savoye (vous savez Gras Savoye : le réassureur) qui me dit au milieu du repas : « Dis-moi, t’as pas envie d’aller au pipi room ? Je ne sais pas très bien où c’est »… J’avais pas forcément envie, mais vous savez comme nous étions à la Compagnie Bancaire : toujours prêt à rendre service… Donc nous voilà partis dans le dédale des étables reconfigurées en salles à manger… On trouve. Comme il n’y avait qu’une place, je laisse Luc y aller le premier : cela avait l’air pressé… et j’attends benoîtement mon tour.. Quand tout à coup, j’entends un énorme juron. Je me demande ce qui se passe, et je vois l’ami Luc sortir comme un diable de sa boîte en essayant de remettre son pantalon qui était encore à mi-jambes… Et je comprends…
C’était des e-toilettes, comme on dirait maintenant. De marque Toto (cela ne s’invente pas…). Il n’y en avait pas beaucoup à l’époque, c’était le début… Les Japonais sont en effet des maniaques de la propreté, et ils avaient mis au point ces e-wc, pour  laver, shampooingner, sécher, euh, comme dirais-je, le « basement » de l’Homo Sapiens. Le tout fonctionnant avec une espèce d’écran tactile situé sur le côté droit, à hauteur d’homme dans la position requise … Pas besoin de se lever pour l’utiliser… D’ailleurs c’est tout a fait contre-indiqué…
L’écran comportait quelques touches, chacune correspondant à une fonction spécifique… Malheureusement pour Luc, les indications étaient en japonais…
Notre ami a dû croire qu’il s’agissait d’un jeu vidéo pour passer agréablement le temps. Machinalement, il a commencé à appuyer sur toutes les touches… Il s’est retrouvé trempé jusqu’aux os, car quand il a reçu sur son « basement » un jet d’eau froide, il s’est relevé précipitamment, ne s’attendant pas à ce traîte tsunami. J’ai appris plus tard qu’il y avait une touche « eau chaude ».
Ce qui a aggravé la chose dans le cas de Luc, c’est qu’il avait aussi appuyé sur une autre mauvaise touche… celle réservée aux dames (le jet est dirigé semble-t-il plus vers l’avant – allez donc savoir pourquoi…). Bref, le fait qu’il se relève précipitamment a été du plus mauvais effet… Il aurait dû rester bien sagement assis : il aurait été propret comme un sous neuf en sortant.
Il n’a pas voulu revenir à table dans cet état. Il est parti précipitamment à l’hôtel se changer… Personne n’en a rien su…
Luc est décédé depuis. J’espère que là où il est, il n’appuie pas sur des touches sans savoir.
A bientôt peut-être pour de nouvelles aventures…