Des histoires de filles – Un people pas comme les autres

Par Poulettenela

Il y a quelques semaines, je vous dévoilais une de mes passions : écrire des petites nouvelles.

Il s’agissait de « Larguée et alors ? »

Vous avez aimé, vous en avez redemandé, en voici une autre.

J’espère qu’elle vous plaira !

UN PEOPLE PAS COMME LES AUTRES

Parfois la vie nous réserve des surprises hors normes et certains moments sont faits pour rester gravés dans nos mémoires.

Ce matin-là, une journée surchargée s’annonçait.

J’avais rendez-vous pour une interview télévisée à 10 heures au sein d’une chaine de télévision locale.

Le projet que je menais depuis plusieurs mois voyait enfin le jour et les médias semblaient friands de ce type de technologie.

J’ai donc été contactée par le rédacteur en chef et nous nous sommes mis d’accord sur un reportage de 30 minutes présentant le concept et l’équipe.

Après une brève mais complète séance de maquillage et de coiffure, je me suis retrouvée dans un salon privé dans l’attente de ma prestation.

Mes mains étaient moites, mon cœur battait de façon irrégulière et mon stress amplifiait à chaque seconde.

J’avais le nez dans mes notes et ne prêtai aucune attention au nouveau venu dans le salon.

Il était entré sans faire un bruit.

Au bout de quelques secondes, des effluves de parfum musqué emplirent la pièce et piquèrent ma curiosité.

Il était de dos, face à la machine à expresso.

C’était un homme assez grand, plus d’1m80 à vue d’œil, aux épaules larges, les cheveux en bataille.

Son costume bleu marine était coupé à la perfection et je ne pus réprimer un sourire en observant son postérieur rebondi.

C’est à ce moment-là qu’il choisit de se retourner.

Et c’est à cet instant que je tombai de ma chaise.

Enfin… c’est une façon de parler.

Pour être totalement exacte, mon cœur s’emballa tellement vite qu’il semblait prêt à sortir de ma poitrine.

Je connaissais ce type, et d’ailleurs près de la totalité de la population française le connait également.

C’est un des journalistes banquables du moment dans le monde très privé de l’audiovisuel.

Il est particulièrement déstabilisant de se retrouver dans cette situation.

Vous êtes assis devant cette personne que vous voyez à longueur d’année dans les magasines people, vous avez le sentiment de tout savoir de sa vie, de connaître ses secrets et ses échecs, et pourtant c’est un total inconnu.

Lui, vous regarde et ne voit rien.

Vous, vous l’observez et vous en savez beaucoup trop.

Non ce n’est pas une star, j’imagine que devant Madonna ou George Clooney la paralysie aurait été inévitable, mais à ce moment précis, j’ai été incapable de dire un mot.

Que sommes-nous sensés faire dans des moments pareils ?

Sourire bêtement et passer pour une groupie ?

Feindre l’indifférence et passer pour une pétasse ?

Dans le doute, je lui ai lancé mon plus sincère sourire et ai repris la préparation de mon speech.

C’est lui qui brisa la glace.

Nous étions seuls depuis plusieurs minutes et l’ambiance semblait un peu tendue.

- « Vous allez intervenir dans l’émission ?

J’avais assez potassé et il ne servait plus à rien de relire encore et encore ces foutus chiffres que je connaissais par cœur.

J’ai donc rangé ma paperasse et me suis adossée au fauteuil en soupirant.

- « Oui, je dois défendre mon bébé et je suis plus que tendue… »

Il me sourit en me fixant et me proposa un verre de jus d’orange.

- « Le café, dit-il, colore les dents et ne vous donne pas une haleine très fraiche avant une interview ».

 

Il avait un regard rieur et plein de tendresse.

J’acceptai volontiers ma dose de vitamines et commençai à me détendre.

- « Vous avez besoin de petits conseils ? Je suis plutôt à l’aise avec les caméras… »

Il souriait toujours mais détourna le regard en faisant allusion à sa « célébrité ».

Je décidai de ne pas ignorer la remarque, après tout jouer l’idiote n’était d’aucun intérêt.

- « Oui vous êtes un pro ! Je dois vous paraître bien gourde avec mon trac de pucelle… »

Ce mot m’avait échappé, j’avais voulu faire de l’humour mais au moment même où les mots étaient sortis de ma bouche, j’aurai voulu creuser un trou dans la moquette et disparaître à jamais…

Il éclata de rire, d’un rire fort et grave et les larmes lui montèrent aux yeux.

Je le regardai ébahie, les joues en feu.

Il se leva et vint s’asseoir près de moi.

Il riait toujours mais reprit son calme pour me passer son message.

- « Règle 1 : parlez posément en regardant le journaliste et ne tenez pas compte des caméras.

Règle 2 : utilisez des mots simples et faites des phrases courtes pour ne pas vous perdre dans vos idées.

En enfin, dernier conseil : placez de temps à autre le regard ravageur que vous m’avez lancé en arrivant et éviter l’humour… Ce n’est pas votre fort… »

 

Et il repartit dans un fou rire.

Lorsque l’assistante de production entra dans la pièce, nous discutions tous les deux des tordus de la télé et des émissions à éviter.

J’étais sereine, confiante et pleine de peps.

Alors que je passai la porte, il s’approcha et me dit

« Nela, vous allez assurer. Dites-vous que je ne serai pas loin !!! Et on se voit à la fin de l’émission. Je vous retrouverai ici pour fêter ça ! »

 

Je repartis sur un petit nuage.

Lors de l’interview, une partie de moi était restée dans la salle d’attente, mais l’autre très pro, souriait au journaliste, exposait ses idées, défendait ses points de vue et dressait un portrait flatteur, innovant et original de sa société.

Le journaliste semblait enthousiaste, intéressé et la demi-heure d’enregistrement se déroula sans mauvaises surprises.

Une fois les projecteurs éteints, j’ai pu respirer un grand coup, défaire mon chignon et ouvrir ma veste cintrée.

Je remerciai une dernière fois l’équipe technique et les assistants qui avaient su m’expliquer patiemment comment me placer, où regarder et qui m’avaient régulièrement encouragée par des sourires et des signes de tête.

Le rédacteur en chef vint à ma rencontre pour me féliciter.

Un petit monsieur d’une soixantaine d’années, charmant et sympathique, mais dont les compliments, à cet instant précis, ne me faisaient ni chaud ni froid.

Je n’avais qu’une hâte : LE retrouver.

Et je n’avais qu’une crainte : qu’il soit déjà parti.

Mon hôte ne me lâchait pas la main et semblait ne pas se rendre compte de mon impatience grandissante.

Au risque de paraître familière, je l’ai interrompu en prétextant un rendez-vous et me rendis, quasiment au pas de course, vers le salon.

La porte était entrouverte et la pièce était vide.

What else ?

A quoi devais-je m’attendre ?

Qu’il allait patienter sagement dans cette pièce glauquissime ?

Une petite musique d’ambiance se déclencha et je profitai de ce moment de solitude pour souffler et faire un point sur cette première, et prometteuse, expérience avec les médias.

J’étais très fière de moi, je m’en étais sortie plus qu’honorablement.

J’ôtai mes escarpins et me servis un verre de jus d’orange en pensant à mon célèbre ange gardien.

Toc toc

Les fragrances musquées passèrent la porte, accompagnées du cliquetis de deux coupes de champagne.

- « Posez immédiatement ce verre, malheureuse !!!! Ça porte malheur ! »

Je le regardai avec un mélange de curiosité et de fou rire naissant.

- « Après son premier passage télé, il faut boire une coupe de champagne cul sec ! C’est un véritable baptême ! »

Mon petit nuage revint se faufiler entre mes pieds et le sol.

Je vivais une journée extraordinaire.

Au-delà du fait que ce type était le fantasme de milliers de femmes en France, il m’avait toujours paru sympathique et plein d’humour… et visiblement je ne m’étais pas trompée.

Il s’approcha avec ses deux coupes, puis s’attarda sur mon look : le chignon avait fait place à une chevelure en bataille, les 10 cm qui me faisaient défaut étaient soigneusement alignés au pied d’un fauteuil et ma veste entrouverte laissait apparaître un tee-shirt aux couleurs des Rolling Stones.

Il sourit en me lançant un « Vous êtes incroyable ».

Nous trinquâmes à ma victoire.

Il avait pris soin de glisser quelques fraises séchées au fond de ma coupe et l’effet fut divin.

- « Dites-moi, que peut bien faire un talentueux et MONDIALEMENT connu journaliste comme vous dans une petite chaine locale de la région parisienne ? »

Il ôta sa veste et me fixa un instant.

- « Vous m’accordez 2 secondes ? Je reviens tout de suite… »

Au bout de quelques instants, il passa à nouveau la porte avec la bouteille de champagne à la main et une coupelle de cacahouètes dans l’autre.

- « Ce que je fais là ? Et bien, un de mes amis est patron de cette chaine et j’y ai placé quelques billes à son lancement. Il m’arrive de passer parfois, prendre la température, voir l’ambiance…

Je fais partie du décor, personne ne me remarque et je peux même piquer des cacahouètes !! »

 

Et il se remit à rire.

Ses yeux formaient alors des petits arcs de cercles et une fossette se dessinait sur sa joue droite.

Aie aie… il était craquant…

J’avais l’impression d’être Julia Roberts face à Richard Gere.

Une fille de nulle part qui, par le plus grand des hasards, se retrouve dans un univers de paillettes et de célébrité.

Je le dévisageai impunément, tentant de déceler les mimiques que je voyais habituellement sur le petit écran.

Sa voix, l’expression de son visage, son rire m’étaient familiers.

Et j’éprouvai le sentiment étrange – et erroné – de le connaître déjà.

Il engagea la conversation, me posa des questions sur la fameuse société que je venais de créer, sur cette ville qu’il ne connaissait que très peu, et je répondais sincèrement et spontanément à cet interrogatoire.

Personne ne vint nous interrompre et les minutes s’écoulèrent…

Mais mon estomac me rappela à l’ordre.

Il était plus de 14 heures, les cacahouètes n’avaient pas fait long feu et le champagne commençait sérieusement à me toquer.

Malgré tout, je n’avais aucune envie de briser la magie de cet instant.

- « Et bien, puisque vous ne connaissez pas la ville… c’est le moment ! Je la connais comme ma poche et j’ai l’adresse d’un petit resto très sympa à deux pas d’ici. Voulez-vous manger un morceau ? »

Son sourire s’estompa et il sembla en plein doute.

- « Je ne sais pas si c’est une bonne idée… C’est quand même une grande ville et je suis rarement « tranquille »… »

Je ne comprenais pas où il voulait en venir.

- « S’il vous arrive parfois de me voir en couverture d’un certain type de presse, c’est que, bien souvent, ILS m’accompagnent dans mes déplacements. »

Ah… je n’avais pas pensé à ça.

Les paparazzis…

Mon invitation à déjeuner était totalement innocente, mais forcément, pour un type comme lui, ça pouvait avoir des conséquences.

Je ne sus que répondre et me retrouvai comme une idiote.

Constatant mon malaise et ma déception, il se leva d’un bond, reprit son sourire et me dit :

- « Allez ! OK pour un déjeuner et une visite rapide. J’ai quelques petites courses à faire, c’est l’occas. Au mieux, nous n’aurons pas d’escorte et au pire… vous serez en première page de Voici dans 2 jours ! »

Je ne l’ai pas pris au sérieux.

Il est impossible pour des gens comme « nous » d’imaginer ce que vivent des gens comme « lui ».

Mais je m’en suis vite aperçue…

Une fois dehors, à la lumière, il était encore plus craquant… mais surtout, il n’était plus seulement « à moi ».

Les hommes se retournaient, les femmes lui souriaient et certains enfants lui ont même demandé des autographes.

Et tous, TOUS, me reluquaient de la tête aux pieds.

Qui c’est celle-là ?

Tiens, il est plus avec machine ? Ils faisaient un beau couple pourtant !

Encore une nouvelle ? Il arrête pas.

J’aurai pu être flattée qu’on me prenne pour sa dernière conquête, mais vu son embarras quand nous entendions ce type de commentaire, j’étais plutôt super mal à l’aise.

Enfin, nous entrâmes dans le cœur de la ville.

MON fief, ma zone de boulot, mes contacts.

Les commerçants, les serveurs, les vendeuses… je les connaissais tous.

Et ce n’était plus lui qui était salué, mais moi… enfin, les premières secondes en tout cas…

Coucou ma belle, tu viens nous rendre visite ? Et qui est ton ami ?

Et là… blanc…

Les gens restaient scotchés, me regardaient, le regardaient, ne savaient plus quoi dire, parlaient du beau temps…

Bref, il fallait se sauver.

Le restaurant était à une centaine de mètres et je lui pris le bras pour accélérer le pas.

A cet instant, un flash me surprit et me fit cligner des yeux.

Un type que je n’avais même pas remarqué braquait un objectif disproportionné sur nous et shootait à tout va.

Il ne tentait même pas de se faire discret et ne chercha pas à partir en courant comme je l’aurai imaginé.

Au contraire !

Il vint vers nous et salua mon compagnon de la journée.

Je sentis son corps se tendre, mais il ne cessa de sourire.

- « Quoi de neuf Sam ? Je vois que tu étais de garde aujourd’hui… Tu n’as pas eu peur de t’aventurer hors de la capitale ? »

Ces salutations n’avaient rien de cordiales.

Le paparazzi me regarda en marmonnant un « bonjour mademoiselle » et répondit :

- « Oui c’est avec moi que tu as affaire aujourd’hui. Et tu sais que je ne montre que la vérité… tu n’as rien à craindre de moi !

- La vérité dis-tu ? Et de quelle vérité me parles-tu ? »

La discussion risquait de s’envenimer.

Ils se dévisageaient et les silences étaient particulièrement flippants.

Les passants s’attroupaient autour de nous et tentaient d’écouter. Certains prenaient des photos avec leur téléphone portable.

Il fallait partir de là.

- « Ecoute. Je suis ici avec une amie. Tes clichés ne valent rien. Tu n’as pas de scoop, même pas d’info intéressante. Laisse tomber pour aujourd’hui et appelle-moi demain matin. Je te pisterai sur une histoire plus juteuse. »

Le rapace sembla réfléchir un instant mais n’insista pas.

Il rangea son matériel et fila sans un mot.

Je me promis de ne plus jamais lire un quelconque Closer, Voici, Gala ou autre connerie du genre… même pas chez le coiffeur.

Nous n’échangeâmes pas un mot jusqu’au restaurant.

Il semblait troublé et je n’étais pas vraiment dans mon assiette.

J’avais senti tellement de tension que j’en étais mal pour lui.

Et, sans trop savoir pourquoi, l’entendre dire que les clichés ne valaient rien et qu’il n’y avait rien d’intéressant à voir me laissait perplexe.

Les serveurs furent super discrets et nous placèrent au fond de la salle, à l’abris des regards.

Une fois assis, il me regarda tristement.

- « Voilà ma vie. Tu l’as vécu pendant 15 minutes. Je subis ça depuis plus de 10 ans. J’adore mon métier. J’adore rencontrer du monde. Mais ces connards et leur saloperie de photos… »

Il ne finit pas sa phrase.

J’avais envie de prendre sa main, de le serrer contre moi…

- « Et puis ces gens qui te regardent comme si tu étais une bête de foire. Qui se permettent de te parler de ta vie, de tes ruptures, et même de tes enfants !!! Il m’arrive souvent de pêter un câble… »

Il y avait de la colère dans sa voix.

Il me regardait durement et je crus un instant qu’il parlait de moi.

- « Je suis désolée »

C’est tout ce que j’ai été capable de répondre.

Il prit ma main et la garda dans la sienne.

- « Merci pour cette rencontre. Merci pour ce joli moment dans la salle d’attente. Ça fait du bien de vivre comme tout le monde. »

Le serveur me ramena brutalement sur Terre avec son plat du jour et sa formule à 18 euros, dessert inclus.

J’en étais folle et le fusillais du regard.

La complicité et l’humour reprirent le dessus.

La tension était tombée et nous pûmes partagés un déjeuner tout simple de croque-monsieur salade, sans turbulences.

A 15h30, alors que le restaurant se vidait, il jeta un œil à son BlackBerry.

- « Je vais devoir y aller. »

Il héla un serveur et paya l’addition.

Nous restâmes quelques secondes les yeux perdus dans le regard de l’autre.

- « Donne-moi ton numéro, nous pourrions prendre un verre un de ces jours ? »

Je lui tendis ma carte de visite et il la glissa dans la poche de sa chemise.

Je notai qu’il la mettait près du cœur…

Il se leva et enfila sa veste.

Je ne pouvais pas bouger. Mes yeux restaient fixés sur la chaise qu’il laissait vide.

Il s’approcha de moi, déposa un baiser tout tendre sur ma joue et se dirigea vers la porte.

Je me levai alors rapidement pour le suivre du regard.

Sur le seuil, il se retourna un instant, à temps pour me voir murmurer « Appelle-moi ».

Il me sourit une dernière fois, puis fila.

J’espère qu’il le fera…