Critique du livre par Esteve Freixa i Baqué :
« La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) »
Jean-Louis Monestès et Matthieu Villatte. Éditions Elsevier Masson, 2011, 206 pages, 29 €
Au moment de rédiger ce compte-rendu, je me trouve face à ce qu’il est convenu d’appeler, de nous jours, un « conflit d’intérêts ». En effet, les auteurs de ce livre ont été mes étudiants. Je dois donc éviter un double écueil : celui de la complaisance complice et celui du règlement de comptes type « résistance au meurtre du père ». Car il se trouve que Jean-Louis et Matthieu figurent sans conteste parmi mes meilleurs ex-élèves mais aussi qu’ils ont choisi une voie légèrement différente de celle que j’enseigne.
Je vais donc me draper dans les garde-fous de la « neutralité bienveillante » et me réfugier derrière l’objectivité factuelle pour rendre compte de cet ouvrage en m’appuyant essentiellement sur des citations textuelles.
Et quoi de mieux que de commencer par le début du chapitre 1 : « La thérapie d’acceptation et d’engagement (…) s’inscrit dans le mouvement plus général de la troisième « vague » des thérapies cognitives et comportementales. Elle s’appuie sur les connaissances des vagues comportementale et cognitive qui ont montré leur efficacité (INSERM, 2004), en prolonge les acquis et met l’accent sur les aspects émotionnels et métacognitifs. (…) Plutôt que de chercher à changer le contenu des pensées, ou d’essayer de faire disparaître les émotions difficiles, les modèles thérapeutiques de la troisième vague considèrent que modifier notre relation à ces pensées et émotions est la clé pour aider les patients (…) Les modèles de la troisième vague considèrent qu’accepter plutôt que lutter, observer à distance plutôt que croire nos pensées difficiles, est plus efficace que de tenter de s’en débarrasser, même si c’est généralement notre tentation première. (…) Au-delà du souci d’évaluer ses pratiques thérapeutiques, l’ACT se situe dans une démarche d’interaction permanente entre clinique et recherche fondamentale. Les exercices proposés aux patients découlent d’études de laboratoire, ou sont créés sur le terrain clinique puis validés dans un contexte davantage contrôlé. »
Cela me semble constituer un excellent résumé des thèses et méthodes de l’ACT (les auteurs -à l’instar de Steven Hayes, le « père » de cette approche, qui préface l’ouvrage- nous invitent à prononcer « acte », pour bien souligner que cette démarche n’a rien de passive et de résignée comme une certaine lecture du titre pourrait le laisser penser). Je souligne en particulier l’un des mérites majeurs de ce livre qui est de montrer la contribution déterminante de l’Analyse Expérimentale du Comportement (AEC) à la psychothérapie.Pour ce qui est de la forme, le livre se lit très facilement et est accessible à quiconque, même à celles et ceux qui n’ont pas de formation en psychologie (quelques encadrés sont là pour y remédier quand cela s’avère indispensable). Car il faut souligner l’indéniable talent des auteurs pour faire passer le message, pour se faire comprendre, pour rendre les notions maniées parfaitement compréhensibles au lecteur « lambda ».
Leur souci de pédagogie est constant et ils excellent dans l’art de rendre remarquablement limpide l‘ensemble de l’architecture de l’ACT. En mêlant et dosant très convenablement théorie, pratique, exemples concrets en clinique et discours argumentatif, les auteurs vous « prennent par la main » et vous font avancer presque ludiquement dans la géographie de cette nouvelle approche1. Toute personne curieuse de la connaître, tout simplement, où même de s’y former, pourra lire avec profit cet ouvrage.
Toujours dans mon souci d’impartialité, je me permets de citer ici, avec la permission de l’auteur, quelques extraits du compte rendu que Jacques Van Rillaer a réalisé de ce livre pour une revue spécialisée : « Avec le travail de Monestès et Villatte, le lecteur français dispose enfin d’un manuel substantiel, destiné aux professionnels de la psychothérapie. Ce manuel présente de façon concrète comment mettre en pratique les axes de l’ACT : la distanciation à l’égard de cognitions et d’affects (« défusion »), l’acceptation sereine de ces événements privés dans le champ de la conscience, la prise de conscience du caractère arbitraire de règles verbales, la distanciation vis-à-vis du moi conceptualisé et l’expérience du Je transcendantal, l’attention à l’expérience présente (mindfulness), la réflexion sur les valeurs qui donnent un sens à la vie de la personne, l’engagement dans des actions en cohérence avec ces valeurs. Fidèle à la tradition de l’ACT, l’ouvrage présente de nombreuses illustrations cliniques, des vignettes verbatim, des métaphores, des exercices favorisant une approche expérientielle. »
Mais je ne voudrais pas finir en donnant l’impression que je n’ai pas voulu « me mouiller ».
Sans enlever un iota à tout ce qui vient d’être dit d’élogieux sur la forme, je tiens à marquer ma distance quant au fond de l’ACT. En effet, saluée comme un réel progrès par une bonne partie de la communauté comportementaliste, la fameuse « troisième vague » a été reçue avec beaucoup de scepticisme et de circonspection par toute une autre partie (dont le lecteur aura compris que je fais partie). Ce n’est point ici ni l’heure ni le lieu d’entamer ce débat de fond. Juste esquisser une critique à la notion même, pourtant très en vogue, de « vagues » : La première est comportementale, la deuxième prétendument cognitive (bien que les cognitions soient des comportements, mais privés, et donc incluses dans la première) et la troisième prétendument émotionnelle (bien que les émotions ne soient que des effets collatéraux des comportements, donc incluses elles aussi dans la première). Pour les auteurs, cette troisième vague serait plutôt, d’une certaine manière, un retour à la première dans la mesure où elle recentre la démarche thérapeutique sur l’action plutôt que la modification des pensées et émotions. Mais, à force de dériver vers les « pleines consciences », les « méditations transcendantales » et autres avatars orientalistes, on peut se demander si on ne risque pas, plutôt, de déboucher vers une quatrième « vague » : la vague mystique.
1 Le premier article mentionnant l’Act date de 1991. Le premier ouvrage, de 1999. Mais dès 1987, Hayes publiait un texte d’une soixantaine de pages, « A contextual approach to therapeutic change », qui contenait l’essentiel des idées qu’il allait par la suite développer sous le nom de Thérapie de l’Acceptation et de l’Engagement, basée sur la « théorie des cadres relationnels ».
Source: Note de lecture d’Esteve Freixa i Baqué. L’article d’origine ici., pseudo-sciences.org
-> Pour une information et un entretien gratuit de 30 à 45 minutes, sans engagement, concernant une aide, un soutien psychologique, ou une psychothérapie -> cliquez ici