Jeudi 24 novembre 2011, dans un restaurant grec de Lausanne, Le Lyrique, Slobodan Despot, patron des éditions Xenia ici, lance son nouveau bébé, Les enfants de l'euro d'Isabelle Guisan ici.
L'auteur est là, ainsi que de nombreuses personnalités grecques, dont le député popiste Joseph Zisyadis [le POP est le Parti Ouvrier Populaire suisse, d'inspiration communiste...]. Dans la salle, un auteur maison, Oskar Freysinger...avec son ineffable valise à roulettes.
Isabelle Guisan, journaliste, écrivain, est grecque par sa mère et suissesse par son père. Accompagnée de deux étudiants photographes bénévoles, elle a sillonné la Grèce en proie à une crise sans précédent pour rencontrer des jeunes gens.
Comme l'a expliqué Slobodan Despot, en guise de présentation du livre, il s'est agi pour l'auteur, au-delà des chiffres froids de l'économie et des clichés sur la Grèce, de donner chair à des enfants de la Grèce actuelle. Qui a rejoint la zone euro dès le début, il y a dix ans. Pour son malheur.
Ces filles et ces garçons ont tous entre 20 et 30 ans - la plus âgée a 32 ans et la plus jeune 18. Ils vivent dans le Nord de la Grèce ou près des frontières bulgare et turque, à Athènes, à Lavrio, au bord de la mer Egée, ou dans une île, telle que Paros, Fourni ou Kéa, où Isabelle Guisan possède une maison.
Ils sont tous d'origine modeste, à l'exception peut-être d'un jeune homme, qui a pu devenir restaurateur. Leurs ascendants sont grecs, mais aussi bulgares, albanais et même kurdes irakiens. La plupart travaille pour de maigres salaires et dans des conditions précaires.
Cette petite vingtaine de jeunes est-elle un échantillon représentatif des jeunes grecs ? Ce n'est pas le propos. Le propos est de nous dresser leurs portraits dans leur diversité - il y a une minorité musulmane grecque dans le Nord, les Pomaques -, dans leurs aspirations, dans leur environnement géographique, économique, social et culturel, de nous les rendre bien vivants.
En ne faisant qu'effleurer la politique, le propos est de nous les montrer désabusés à l'égard de la classe politique - tous des voleurs! -, en colère contre la corruption et contre la bureaucratie, désemparés devant l'avenir tourmenté qui s'offre à eux - l'un d'entre eux n'aspire qu'à partir en Italie, un autre, albanais, fait la comparaison entre la Grèce et l'Albanie, qui va mieux...et où il pourrait bien repartir.
Ces enfants grecs de l'euro sont hôtelière, étudiantes et étudiants - qui font, ou non, de petits jobs d'été pour payer, ou non, leurs études -, travailleurs sur appel, chauffeur de taxi, employé dans une agence de voyage, ingénieure mécanicienne, sans travail, restaurateur, designer. Isabelle Guisan nous fait pénétrer dans leur quotidien pour que nous les comprenions mieux. Les singularités ne sont-elles pas toujours éclairantes ?
Je pense immanquablement à Georges Haldas qui disait que les petites choses "sont vécues par tous, c'est à partir d'elles qu'on fait son chemin vers les grandes. Si l'on saute cette étape on a l'air de faire l'abstraction du quotidien alors que tout y est inscrit."
Isabelle Guisan, dans son introduction, écrit :
"Nous avons souvent entendu un discours convenu sur le "complot" du nord de l'Europe contre les pays du sud, sur l'Allemagne de plus en plus en détestée qui n'a pas payé les réparations de guerre et monnaie du matériel de guerre en échange de ses prêts."
Et dans sa conclusion :
"L'éventualité d'une dictature n'est plus tabou, clamer qu'on votera pour l'extrême-droite s'il y a des élections anticipées ne l'est pas non plus."
L'euro aura donc bien engendré en Grèce des monstruosités...
Francis Richard