Les éoliennes ne sont pas simplement victimes de la complexité croissante du droit : elles sont également victimes de sa particulière médiocrité. L'évolution trés inquiétante, ces derniers mois de la jurisprudence relative aux "zones de développement de l'éolien" le démontre complètement et met en danger les ZDE mais aussi les SRCAE. Analyse.
"Quand la loi est molle le Juge est dur"
Une jurisprudence particulièrement inquiétante est en train de menacer l'avenir de l'éolien en France et, plus particulièrement, celui des Zones de développement de l'éolien. Trés concrètement, cette jurisprudence démontre que les éoliennes ne sont pas simplement victimes de la quantité et de la complexité de règles et de contraintes qui se multiplient depuis la loi "Grenelle 2" du 12 juillet 2010, mais aussi de la médiocrité de la rédaction de ces textes.
Comprenons nous bien : la responsabilité première de cette évolution n'est pas celle du Juge mais bien celle du législateur qui produit à la chaine des textes trop nombreux, mal écrits et mal évalués. Au delà de la quantité de ces textes, l'imprécision de leur rédaction conduit nécessairement le Juge, par son travail d'interprétation, à remplir les "trous" et vides juridiques parfois béants.
Une situation particulièrement bien résumée par mon confrère, Carl Enckell : "Quand la loi est molle, le juge est dur". L'évolution actuelle de la jurisprudence afférente aux Zones de développpement de l'éolien en est une parfaite illustration. Pourquoi ? Parce que le droit applicable aux ZDE se résume à deux circulaires - du 19 juin 2006 et du 25 octobre 2011 - qui se caractérisent par leur insuffisance.
Il faut rappeler qu'une circulaire n'a en principe pas pour vocation de créer des règles de droit mais uniquement d'en assurer la présentation. Or, c'est bien par circulaires successives que l'Etat légifère en matière de ZDE : le grand bazar du droit. Malgré leur nombre, ces textes ne parviennent pas à répondre à toutes les questions posées, lesquelles le sont alors...au Juge.
Des atlas régionaux insuffisants
Le point de départ de cette jurisprudence "inquiétante" réside dans un arrêt rendu le 7 juillet 2011 de la Cour administrative d'appel de Marseille. Celle-ci a confirmé l'illégalité de l'arrêté du préfet des Hautes-Alpes en date du 10 avril 2007 portant création de la zone de développement éolien, au terme d'un raisonnement qui créé un risque certain pour la sécurité juridique des ZDE.
L'arrêt précise en effet que la référence à l'atlas régional éolien est insuffisante pour démontrer la régularité des mesures de vent qui permettent de démontrer le "potentiel éolien" d'une ZDE :
"Considérant que le potentiel éolien du projet a été évalué principalement à partir des données de la station météo de Lus-la-Croix-Haute située dans le département de la Drôme, à plus de 40 km du projet litigieux, jugées comparables à celles de la zone en cause ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que les conditions climatiques, le relief et la nature même des vents sont distincts entre ces deux zones, ainsi que cela ressort notamment des roses des vents établies par Météo-France à Lus-la-Croix-Haute et à Rosans, station météo située à 6 km de la zone de développement de l'éolien en litige, qui font état d'une différence significative dans la direction des vents et dans la fréquence de vents faibles ; que, d'ailleurs, le relevé annuel établi postérieurement sur le site par un professionnel de l'énergie éolienne, la société Tencia, a mis en évidence l'insuffisance du vent sur la zone concernée ; que, dans ces conditions, le ministre ne saurait utilement se prévaloir de l'identité entre la zone de Lus-la-Croix-Haute et celle de la ZDE en cause, au regard du potentiel éolien qui ressortirait de l'atlas éolien des Hautes-Alpes finalisé en août 2008, lequel ne peut être regardé comme étant d'une précision suffisante pour contredire les relevés de la station de météo de Rosans".
Le problème tient à ce que les ZDE mais aussi les projets de schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie se fondent largement sur les données des atlas régionaux de l'éolien dont la rigueur scientifique n'a jamais été sérieusement contestée. La situation est donc trés préoccupante. Pourtant, bien plus que la seule référence à l'atlas régional éolien, la Cour administrative d'appel de Marseille exige une "estimation réaliste du potentiel éolien au regard des caractéristiques propres de la zone étudiée" :
"que, si le législateur n'impose pas au pétitionnaire de réaliser des mesures de vent, le projet doit néanmoins se fonder sur des évaluations et des informations météorologiques permettant une estimation réaliste du potentiel éolien au regard des caractéristiques propres de la zone étudiée ; que, dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que le potentiel éolien du projet, au regard des seuls éléments portés à la connaissance du préfet, n'a pu être suffisamment apprécié par cette autorité, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 10-1 de la loi du 10 février 2000 ; que, par suite, c'est à bon droit que le Tribunal a annulé l'arrêté en litige"
L'analyse du Juge démontre que le problème tient bien à l'imprécision de la loi : "le législateur n'impose pas au pétitionnaire de réaliser des mesures de vent". En clair : le législateur, aux termes de la loi modifiée du 10 février 2000, exige une mesure du potentiel éolien de la ZDE mais n'indique pas de quelle manière il convient de faire pour procéder à son évaluation. Au Juge donc de dire ici le droit, les circulaires du 19 juin 2006 et du 25 octobre 2011 n'étant d'aucune aide.
Le Juge va donc juger 1° que le potentiel éolien doit être évalué ZDE par ZDE 2° Que des mesures de vent régionales sont insuffisantes pour démontrer à elles seules le potentiel éolien local d'une ZDE en particulier. Certes, la position du Juge est d'une particulière sévérité et c'est bien l'interprétation trés rigoureuse de la loi du 10 février 2000 qui a été ici adoptée.
A titre personnel, j'aurai bien entendu préféré que le Juge se montre plus souple et reconnaisse que les données de l'atlas régional éolien suffisent sans doute l'évaluation du potentiel d'une ZDE qui, rappelons avec force, n'est ni un document d'urbanisme ni une protection réglementaire environnementale. Reste qu'il appartient à l'Etat d'agir trés vite pour doter l'éolien d'un droit de qualité.
En attendant, il faut espérer que le Conseil d'Etat soit saisi et adopte une interprétation moins préjudiciable.
Une jurisprudence en voie de confirmation ?
L'arrêt du 7 juillet 2011 de la Cour administrative d'appel de Marseille, rendu en période estivale, n'a pas défrayé la chronique car il était difficile de savoir si la solution retenue était susceptible de faire "tâche d'huile" et d'être retenue par d'autres juridictions. S'agissait-il d'une décision d'espèce ou de principe ?
Il était permis de douter dés lors que, par arrêt rendu le 16 août 2011, la Cour administrative d'appel de Lyon avait rappelé que la charge de la preuve de l'insuffisance de mesure du potentiel éolien d'une ZDE appartient au requérant et non à l'auteur de la proposiiton de création de ZDE :
"Considérant en dernier lieu, que, si l'association soutient que le potentiel éolien ne serait pas suffisant, elle ne le démontre pas en se bornant à indiquer que la décision se fonde sur des éléments produits par le promoteur du projet ; que le moyen tiré de l'insuffisance du potentiel électrique doit être écarté"
Or, une autre juridiction viennent d'emboiter le pas à la Cour administrative d'appel de Marseille. A commencer par la Cour administrative d'appel de Bordeaux, par 6 arrêts en date du 2 novembre 2011. Ayant été l'avocat de certaines des parties au procés dans cette affaire, je me limiterai à vous renvoyer à la lecture de ces décisions publiées sur Legifrance et à cet article du JDLE.
La Cour administrative d'appel de Bordeaux elle-même vient de confirmer la solution retenue le 2 novembre 2011, par un arrêt "Association Vigie Eole" (10BX02111) du 15 novembre 2011. L'arrêt précise que les données de l'atlas éolien aquitain sont insuffisantes pour la mesure du potentiel de la ZDE dont l'annulation était demandée. Plusieurs autres décisions sont attendues, notamment devant la Cour administrative d'appel de Marseille qui devraient aller dans le même sens.
Le risque est donc réel pour les ZDE mais aussi pour les SRCAE : l'intervention urgente de l'Etat est requise pour sécuriser les projets. Soyons cependant clairs : c'est bien une réforme d'ensemble qui est nécessaire bien plus qu'un simple colmatage des brêches et fuites d'un dispositif juridique de bien mauvaise qualité.
Arnaud Gossement
Avocat associé - Docteur en droit