Suis-je fou ?
Ou seulement jaloux ?
J’ai souffert horriblement
Et accompli un acte de folie.
Le soupçon haletant,
L’amour trahi,
La douleur abominable,
Suffisent pour commettre l’irréparable
Oh ! j’ai souffert de façon continue,
Épouvantable, aigüe.
J’ai aimé cette femme.
Non, elle m’a possédé corps et âme,
J’ai été,
Sa chose, son jouet.
Mais Elle, la femme, je la hais.
Car elle est impure, bestiale.
Oui, elle est un sensuel animal,
Moins que cela : elle n’est qu’un flanc.
Les premiers temps
Entre ses bras je m’épuisais.
En l’étreignant, je frémissais,
Secoué tout autant par le besoin de la tuer
Que par le désir de la posséder.
Quand elle commençait à se dévêtir,
Je me sentais défaillir.
Mais jour après jour,
Elle se lassait de moi, je le sentais.
Tout de suite, je comprenais.
C’était fini pour toujours.
Quand je l’appelais,
Elle se retournait :
-Laissez-moi donc !, ou bien
-Vous êtes odieux !, ou bien
-N’aurais-je jamais
La paix ?
Alors, je fus jaloux comme un chien.
Je savais bien
Que bientôt elle recommencerait,
Qu’un autre viendrait.
J’épiais.
Elle me trompait ?
À son lever elle avait le regard mou.
Je ne suis pas fou.
Elle restait froide, endormie.
Jadis,
Nous passions des nuits d’amour ardent
Aujourd’hui, il me venait des suffocations
De colère, des tremblements
D’indignation, des démangeaisons
De l’étrangler, de l’abattre sous mon genou
Et de lui faire avouer les confidences honteuses
De son cœur. Suis-je fou ?
Non. Un soir je la sentis heureuse.
Je sentis qu’une passion nouvelle
Vivait en elle.
J’en étais sûr.
Indubitablement sûr.
Elle palpitait.
Son œil flambait.
Tout son être vibrant
Dégageait cet amour d’où mon affolement
Était venu. Je feignis de ne comprendre rien.
Pourtant je ne découvrais rien.
J’attendis une semaine, un mois, une saison.
Elle s’épanouissait dans l’éclosion
D’une incompréhensible ardeur.
Elle s’apaisait dans un insaisissable bonheur.
Et tout à coup,
Je devinais ! Je ne suis pas fou.
Comment vous dire ceci ?
Voilà de quelle manière je fus averti.
Un soir, à la clarté vespérale,
Elle rentrait d’une promenade à cheval.
Je ne pouvais m’y tromper.
Il me sembla pénétrer
Dans des secrets
Que je n’avais pas soupçonnés.
Qui ne sondera
Jamais les perversions si fines
De la sensualité féminine ?
Qui comprendra
Leurs caprices invraisemblables
Et l’assouvissement impalpable
De leurs étranges frénésies ?
Chaque matin, elle galopait
Par les plaines et les bois
Et chaque fois, elle rentrait
Alanguie
Comme après des frénésies d’amour ardent.
J’avais compris !
J’étais jaloux maintenant
Du cheval nerveux et galopant ;
Jaloux du vent
Qui la caressait ;
Jaloux des feuilles qui baisaient,
En passant, ses oreilles,
Du soleil
Qui inondait ses hanches
À travers les branches,
Jaloux de la selle qui la portait
Et que sa cuisse étreignait.
C’était tout cela qui l’exaltait,
L’assouvissait,
L’épuisait,
Et ensuite me la rendait
Insensible et presque pâmée.
Je résolus de me venger.
Je fus pour elle doux et attentionné.
Je lui tendais
La main quand à terre elle sautais
Après ses courses effrénées.
Et il ruait vers moi, son furieux cheval !
Et elle, flattait l’encolure de l’animal,
Embrassait ses naseaux !
Le parfum de son corps en sueur
Comme après la tiédeur
Des draps extraconjugaux
Se mêlait à l’odeur âcre
De son coursier roussâtre.
Voici l’heure de ma vengeance.
Je pris mon pistolet, courus en transe,
Une corde dans la main.
Vers le sentier qu’elle empruntait chaque matin.
Je tendis la corde entre deux troncs
Puis me cachai derrière un buisson
J’entendis son galop lointain.
Elle arrivait à fond de train.
Je l’aperçus là-bas.
Oh ! je ne m’étais pas trompé,
C’était cela !
Elle semblait d’allégresse transportée.
La course faisait vibrer ses nerfs
D’une jouissance furieuse et solitaire.
le cheval heurta mon piège et roula,
Les os cassés.
Elle, je la reçus dans mes bras !
Au sol je la déposais.
Je m’approchais de Lui qui nous regardait ;
Alors pendant qu’il essayait de me mordre encore,
Je lui mis un coup de pistolet dans le corps
Et comme un homme, je le tuai.
Et comme sur moi, elle se ruait,
Je lui tirai une balle derrière le cou.
Dites-moi, suis-je fou ?