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FOU ? , d'après Maupassant

Publié le 26 novembre 2011 par Dubruel

Suis-je fou ?

Ou seulement jaloux ?

J’ai souffert horriblement

Et accompli un acte de folie.

Le soupçon haletant,

L’amour trahi,

La douleur abominable,

Suffisent pour commettre l’irréparable

Oh ! j’ai souffert de façon continue,

Épouvantable, aigüe.

J’ai aimé cette femme.

Non, elle m’a possédé corps et âme,

J’ai été,

Sa chose, son jouet.

Mais Elle, la femme, je la hais.

Car elle est impure, bestiale.

Oui, elle est un sensuel animal,

Moins que cela : elle n’est qu’un flanc.

Les premiers temps

Entre ses bras je m’épuisais.

En l’étreignant, je frémissais,

Secoué tout autant par le besoin de la tuer

Que par le désir de la posséder.

Quand elle commençait à se dévêtir,

Je me sentais défaillir.

Mais jour après jour,

Elle se lassait de moi, je le sentais.

Tout de suite, je comprenais.

C’était fini pour toujours.

Quand je l’appelais,

Elle se retournait :

-Laissez-moi donc !, ou bien

-Vous êtes odieux !, ou bien

-N’aurais-je jamais

La paix ?

Alors, je fus jaloux comme un chien.

Je savais bien

Que bientôt elle recommencerait,

Qu’un autre viendrait.

J’épiais.

Elle me trompait ?

À son lever elle avait le regard mou.

Je ne suis pas fou.

Elle restait froide, endormie.

Jadis,

Nous passions des nuits d’amour ardent

Aujourd’hui, il me venait des suffocations

De colère, des tremblements

D’indignation, des démangeaisons

De l’étrangler, de l’abattre sous mon genou

Et de lui faire avouer les confidences honteuses

De son cœur. Suis-je fou ?

Non. Un soir je la sentis heureuse.

Je sentis qu’une passion nouvelle

Vivait en elle.

J’en étais sûr.

Indubitablement sûr.

Elle palpitait.

Son œil flambait.

Tout son être vibrant

Dégageait cet amour d’où mon affolement

Était venu. Je feignis de ne comprendre rien.

Pourtant je ne découvrais rien.

J’attendis une semaine, un mois, une saison.

Elle s’épanouissait dans l’éclosion

D’une incompréhensible ardeur.

Elle s’apaisait dans un insaisissable bonheur.

Et tout à coup,

Je devinais ! Je ne suis pas fou.

Comment vous dire ceci ?

Voilà de quelle manière je fus averti.

Un soir, à la clarté vespérale,

Elle rentrait d’une promenade à cheval.

Je ne pouvais m’y tromper.

Il me sembla pénétrer

Dans des secrets

Que je n’avais pas soupçonnés.

Qui ne sondera

Jamais les perversions si fines

De la sensualité féminine ?

Qui comprendra

Leurs caprices invraisemblables

Et l’assouvissement impalpable

De leurs étranges frénésies ?

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Chaque matin, elle galopait

Par les plaines et les bois

Et chaque fois, elle rentrait

Alanguie

Comme après des frénésies d’amour ardent.

J’avais compris !

J’étais jaloux maintenant

Du cheval nerveux et galopant ;

Jaloux du vent

Qui la caressait ;

Jaloux des feuilles qui baisaient,

En passant, ses oreilles,

Du soleil

Qui inondait ses hanches

À travers les branches,

Jaloux de la selle qui la portait

Et que sa cuisse étreignait.

C’était tout cela qui l’exaltait,

L’assouvissait,

L’épuisait,

Et ensuite me la rendait

Insensible et presque pâmée.

Je résolus de me venger.

Je fus pour elle doux et attentionné.

Je lui tendais

La main quand à terre elle sautais

Après ses courses effrénées.

Et il ruait vers moi, son furieux cheval !

Et elle, flattait l’encolure de l’animal,

Embrassait ses naseaux !

Le parfum de son corps en sueur

Comme après la tiédeur

Des draps extraconjugaux

Se mêlait à l’odeur âcre

De son coursier roussâtre.

Voici l’heure de ma vengeance.

Je pris mon pistolet, courus en transe,

Une corde dans la main.

Vers le sentier qu’elle empruntait chaque matin.

Je tendis la corde entre deux troncs

Puis me cachai derrière un buisson

J’entendis son galop lointain.

Elle arrivait à fond de train.

Je l’aperçus là-bas.

Oh ! je ne m’étais pas trompé,

C’était cela !

Elle semblait d’allégresse transportée.

La course faisait vibrer ses nerfs

D’une jouissance furieuse et solitaire.

le cheval heurta mon piège et roula,

Les os cassés.

Elle, je la reçus dans mes bras !

Au sol je la déposais.

Je m’approchais de Lui qui nous regardait ;

Alors pendant qu’il essayait de me mordre encore,

Je lui mis un coup de pistolet dans le corps

Et comme un homme, je le tuai.

Et comme sur moi, elle se ruait,

Je lui tirai une balle derrière le cou.

Dites-moi, suis-je fou ?


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