Roger Vailland (1907-1965) est un écrivain, essayiste, grand reporter et scénariste français. Un personnage complexe, romancier communiste, libertin, drogué et alcoolique mais ascète lorsqu’il écrit, amateur de cyclisme et de montagne, il se livre au « dérèglement de tous les sens » pour reprendre la formule de Rimbaud. Les Mauvais coups, second roman de Roger Vailland, est publié en 1948, plus tard en 1960 c’est lui-même qui en fera l’adaptation pour le film de François Leterrier avec Simone Signoret.
Après avoir économisé assez pour prendre une année sabbatique, Milan un décorateur parisien et sa femme Roberte, vivent dans une petite bourgade du Jura. Mariés depuis quinze ans, le couple passé par toutes les étapes de l’amour-passion en est arrivé à son ultime échéance,la haine. Elle, qui revendiquait sa situation de femme libre au début de leur liaison, s’avère jalouse donc dépendante de Milan, ce qui l’agace particulièrement. Lui est un libertin qui cherche la rédemption.
Dans leur retraite campagnarde, les jours s’écoulent sans relief, on boit beaucoup sous l’œil goguenard ou réprobateur des villageois. Quand le couple fait la connaissance d’Hélène, la jeune et innocente institutrice du village, Roberte y voit une occasion de jouer avec elle et la pervertir, prise entre son désir de l’initier en la mettant dans le lit de Milan mais souffrant de jalousie à cette seule idée. Finalement, ne pouvant ni vivre avec Milan, ni sans lui, Roberte se suicidera. Et quand Hélène déclarera son amour à Milan, celui-ci la repoussera, même si « Ce que j’aime en vous, lui écrit-il, la droiture, la santé, l’intégrité, est justement ce que votre amour pour moi détruirait. » car désormais il ne veut plus aimer, il veut renaître libre, « je vivrai seul ».
Un roman assez court, écrit dans un style épuré fait de phrases sèches, en grande partie autobiographique puisqu’il se base sur les rapports entre l’auteur et sa première femme. Un roman qui dénonce les dangers de l’amour quand il est trop fort, « Bien vite, nous nous sommes détestés de trop nous aimer et d’être, pour ainsi dire, enchaînés par le besoin que nous avions de l’autre ». Et Roger Vailland va plus loin encore lorsqu’il écrit, « L’amour fou est une autre version de l’amour de Dieu. (…) Persister à faire du « Je t’aime » un mot magique qui lie (…) relève de la mentalité primitive. »
Un bouquin qui casse les rêves des romantiques, mais un livre puissant et très moderne quand on songe qu’il a été écrit en 1948.
« - Mais pourquoi, demanda Hélène, le trompiez-vous déjà en ce temps-là ? – Je n’en savais rien, mais il me l’a un jour expliqué, - à propos de lui-même. C’est l’occasion. Deux êtres qui ne se plaisent pas se prennent si l’occasion fait qu’ils se trouvent ensemble et sans témoin, dans un instant où l’un et l’autre ont besoin d’amour. Et deux amants qui s’aiment d’amour fou, par l’occasion d’un couloir mal placé, resteront des mois sans échanger même un baiser. L’occasion fait et défait la plupart des liaisons. »
Roger Vailland Les Mauvais coups Les Cahiers Rouges