C'est sur toutes ces épaisseurs recouvrant le mur initial que le "scribe des contours", comme poétiquement l'appelaient les Égyptiens eux-mêmes, pouvait alors entamer son travail d'artiste, vous précisai-je, amis lecteurs, mardi matin, au terme de notre premier rendez-vous spécifiquement consacré à la technique sous-tendant les peintures du mastaba de Metchetchi que nous avons ici devant nous, dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre.
Ou plutôt d'artistes, au pluriel, m'eût-il fallu noter. C'est en tout cas la thèse que défend l'égyptologue française Christiane Ziegler, Directeur honoraire de ce département au musée, dans l'ouvrage Stèles, peintures et reliefs égyptiens de l'Ancien Empire, référencé ci-dessous. Thèse qu'entre autres points, j'aimerais aujourd'hui développer pour vous.
Grâce à la richesse et à la relativement bonne conservation des couleurs - ce qui, par parenthèses, donnerait à penser que l'endroit d'où proviennent ces morceaux arrachés ne fut nullement la chapelle funéraire qui, régulièrement, abritait les différents rites du culte mais plutôt une pièce annexe, cachée dans laquelle la famille ne dut jamais pénétrer ; grâce aussi à la présence de tracés préparatoires - mises au carreau, disent les historiens de l'art -, comme encore nettement visibles notamment sur la partie gauche du fragment (E 25512), au niveau de l'homme et des deux oryx entourant la gracieuse gazelle brune, animaux du désert qu'il amène en guise d'offrande au défunt ;
grâce enfin à certaines rectifications - repentirs, toujours dans le langage des spécialistes -,
comme sur cet autre éclat (E 25517) avec, notamment, des
corrections manifestes apportées aux signes hiéroglyphiques, à la tête du personnage, ainsi qu'à la partie inférieure de l'encensoir qu'il présente,
il appert, que l'ensemble de ce programme iconographique fut le fruit de plusieurs mains.
Ceci corroborant l'allégation évoquée d'emblée de la présence, si pas d'une équipe
d'artistes, à tout le moins de deux personnes dont l'une rectifia les ébauches de l'autre.
Permettez à l'enseignant d'ouvrir ici une très petite parenthèse pour simplement attirer votre attention sur un autre point, à savoir : l'inversion des conventions par rapport à notre modernité. En effet, contrairement aux habitudes contemporaines qui veulent que ce soit en rouge que nous annotions les travaux d'étudiants, dans l'Egypte ancienne, le choix des couleurs fut exactement l'inverse : vous aurez remarqué en effet que l'esquisse initiale réalisée en rouge par un premier scribe a été, par le maître d'oeuvre qui l'estima nécessaire, corrigée en noir.
Rebondissant sur l'un ou l'autre commentaire d'amis lecteurs cette semaine, - merci Christiana, merci Alain -, j'aimerais, à propos d'une idée souvent admise qui, certes, traduit une facilité d'expression mais qui, d'un point de vue purement technique, relève d'une méconnaissance des pratiques picturales, attirer votre atention sur un terme de nos jours couramment employé pour définir indiféremment n'importe quel type de peinture murale : il s'agit de "fresque" qui actuellement, force m'est de le reconnaître, est généralement utilisé - même chez les historiens -, sans considération aucune quant au procédé mis en oeuvre.
Pourtant, d'un point de vue étymologique, le mot, provenant de la langue italienne "a fresco", signifie "dans le frais". De sorte que peindre à fresque consiste à apposer les couleurs avant que l'enduit ait eu le temps de sécher, et cela de manière à leur permettre de faire corps avec lui.
Ici en particulier et pour ce qui concerne la peinture pariétale égyptienne en général, les artistes ont travaillé sur un substrat - trois couches superposées, rappelez-vous - et ont lié entre eux les pigments avec un fixatif, vraisemblablement de la gomme arabique. Cette technique, qui diffère donc de celle de la fresque proprement dite, est nommée peinture à la détrempe.
Le grand désavantage de ce procédé, que les Egyptiens ne pouvaient évidemment pas soupçonner, eux qui s'étaient organisés pour que ces lieux de culte restassent celés, mais que les égyptologues déplorent aujourd'hui à l'envi, réside dans sa dégradation survenue depuis le le XIXème siècle : en effet, avant cette époque, la conservation des peintures funéraires que rencontrèrent et dont rendirent compte les premiers d'entre eux - je pense notamment à Champollion et à Lepsius -, fut tout à fait exceptionnelle dans la mesure où, dès l'Antiquité, soit les chapelles souterraines non violées bénéficièrent de la sécheresse ambiante, soit des coulées de sable dans celles précocement pillées vinrent faire office d'écrans protecteurs et, selon la propre remarque de feu Roland Tefnin, amenèrent les délicats matériaux dont se composent les parois peintes et leurs enduits préparatoires à une inertie chimique quasi totale.
En revanche, poursuit le Professeur Tefnin, l'intérêt scientifique des égyptologues, la
cupidité sans limite des revendeurs excitée par celle des collectionneurs européens et, plus récemment, l'afflux du tourisme de masse ont déclenché différents processus d'agression qui semblent
devoir entraîner de façon irréversible la mort de ces fragiles trésors.
Le laboratoire de recherche des musées de France auquel je faisais allusion à notre dernière rencontre a également eu pour mission d'analyser l'origine des couleurs ici utilisées, déterminant de la sorte la présence de plusieurs pigments différents : un test microchimique révéla en effet l'apport d'une terre ferrugineuse jaune non identifiée, d'ocre rouge, de traces de chlorure de sodium et d'arsenic, d'une matière noire et de ce célèbre "bleu égyptien" que toutefois le temps a usé. Car même si, dans les semaines à venir, nous serons sensibles à la beauté conservée des couleurs des scènes du mastaba de Metchetchi, force sera de reconnaître que les quelque quatre mille trois cents années qui nous séparent de ces scènes pariétales ont malgré tout eu une influence un tant soit peu défavorable ...
A ce propos, de quoi donc était constituée la palette du scribe des contours ?
Pour autant que réponses à cette question vous intéressent, voilà ce qu'il m'agréerait de vous expliquer le 29 novembre prochain, lors de notre ultime entretien consacré à l'aspect technique de la collection de fragments peints que nous découvrons ici devant nous, dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Puis-je, mardi, compter sur votre présence à mes côtés ?
(Tefnin : 1994, 8 ; Ziegler : 1990, 123-4 et 315-6)