La Nouvelle cuisine a été bien décriée. Je ne veux pas relancer le débat, d’autant qu’il s’agirait d’un combat d’arrière garde sans intérêt. Il est indéniable toutefois qu’elle a marqué l’histoire de la gastronomie française à tel point que ses caractéristiques essentielles perdurent dans les plats servis par les grands restaurants, y compris ceux qui la considèrent avec suspicion. L’épure est toujours là. Le gras à cédé la place à des sucs de déglaçage à l’eau, ou à des émulsions exotiques ou originales. La légèreté a repoussé la quantité et le plat généreux a cédé la place à de délicats et subtils condensés de saveurs. Quant au décorum, il n’est plus dans la salle et sur la table mais simplement dans l’assiette. Si on la retrouve fréquemment dans les mises-en-bouche, ces amuse-gueules, qui n’ont plus rien à voir avec les anciennes et historiques amusettes de mise en bouche tant la sophistication est grande, les plats ne la négligent pas non plus. Le coût des ingrédients utilisés, du temps et de la technique que nécessitent leurs préparations obligent les cuisiniers à la faire perdurer.
Un autre effet de la nouvelle cuisine sur nos habitudes culinaires est dans l’attraction que la cuisine japonaise suscite en nous. Du moins celle dont les caractéristiques s’associent volontiers avec les termes de légèreté, saveur, et délicatesse. On glorifie à tout va les sushis, sous toutes ses formes à tel point que tous les asiatiques font (mal) de la cuisine japonaise. Et on oublie de larges pans de cette gastronomie et notamment les plats roboratifs (terme à prendre dans son sens positif) que sont les menrui (ramen, soba, udon), et autres donburimono comme les délicieux gyudon, toridon, ou katsudon. Dans le genre, on ne fait pas mieux que le chanko-nabe, genre de fondue à nase de bouillon de légumes accompagnée de boulettes de poulets. Il s’agit bien là du contraire absolu de la nouvelle cuisine. Il est vrai qu’il s’agit d’un des mets préférés des sumos. Il ya quelques années, un groupe de ces lutteurs japonais particulièrement imposants, ont été les hôtes de Bercy. On est en droit de se demander comment les cuisiniers français ont pu s'occuper d'eux quand on connait leur boulimie et les caractéristiques de leur nourriture. En fait, c'est très simple, quand on sait que ce sont eux-mêmes qui, à tour de rôle préparent les repas du groupe.
Pour 25 sumos : (Si vous êtes moins, à votre calculette) les ingrédients sont les suivants: Evidemment, en premier lieu 5 kg de riz.
Composition des boulettes de poulet : 4 kg de poulet haché, 1 cuillerée à soupe d'ail râpé, une autre de gingembre, 4 œufs, 4 oignons, ½ sac de miso (la pâte de soja), 2 tasses à café de saké japonais (et surtout pas chinois). Voir à ce sujet un de mes vieux articles.
Préparation des boulettes de poulet : Mélanger le miso, l'ail et le saké dans un grand récipient. Y ajouter le poulet, le gingembre, les œufs et les oignons coupés en petits morceaux. Bien mélanger le tout en y ajoutant 4 cuillères à café de sel et une de poivre.
Composition du bouillon : 2 bols de saké, 2 cuillerées à soupe de hondashi et de mirin, 4 de sel et de shoyu, 1 de suri goma (du sésame haché),
Préparation du bouillon : Ajouter et mélanger au fur et à mesure dans une grande marmite remplie à moitié d'eau bouillante, tous les ingrédients. Puis faire revenir dans un nabé (une grande poêle) en y ajoutant du bouillon, des salsifis coupés en julienne, de l'agé dofu (beignets de pâte de soja) coupé en cubes, de l'itokonyaki (vermicelles), des oignons, et des shitake (champignons) coupés en lamelles. A l'aide d'une petite cuillère, y introduire les boulettes de poulet. Dès l'ébullition, rajouter quelques feuilles de choux chinois et d'épinards.
Et servir...
Pour ceux qui s'inquièteraient des effets d'un tel plat sur leur ligne, qu'ils se rassurent... En fait, le volume imposant des sumos est surtout lié à leur corpulence naturelle (il faut savoir qu'un apprenti sumo est obligatoirement un athlète de très haut niveau, grand, fort et ceinture noire de judo en prime) et que c'est surtout la longue sieste après chaque repas qui les fait grossir. Ainsi le corps ne brûle pour ainsi dire aucune des calories ingurgitées... Cela m'amène à penser que certains sont particulièrement bénis des dieux en élevant au rang de philosophie l'association de la gastronomie et de la sieste... tout en restant mince...
Le restaurant Higuma aujourd'hui à Paris
Il y a près de 30 ans que je fréquente Higuma, un restaurant qui s’était ouvert rue Sainte-Anne pour accueillir les touristes japonais. A l’époque, les cars déposaient des troupes de nippons qui s’accordaient un retour aux sources devant des bols de ramen. J’étais souvent le seul occidental et à l’époque je testais les plats en désignant du doigt les tablettes de bois portant les noms des plats proposés. Heureusement, ils étaient numérotés car j’étais totalement incapable de lire les cryptogrammes kanjis ou katakanas. Peu à peu d’autres amateurs français de bureaux voisins ont investis les lieux et une carte en français est venue nous faciliter l’appréhension de la cuisine japonaise. Une autre façon de la découvrir était d’observer la façon dont les cuisiniers préparaient les plats en s’asseyant au bar qui leur faisait face. C’était également un spectacle. Nous avions l’impression qu’ils bataillaient ferme, les armes à la main ; leurs grandes poêles sur des feux de forges, des cris et des gestes forts marquant chaque victoire sur les cuissons ou les mélanges. A croire qu’ils étaient passés dans une école de sumotori et non de cuisine. La fumée et les odeurs imprégnaient nos vêtements. Nous étions ravis.