Caméra au poing (l’anti star-système)

A propos de Donoma de et avec Djinn Carrénard 4 out of 5 stars

Emilia Derou-Bernal, Vincente Pérez

A Paris et dans sa région, les destins croisés de plusieurs jeunes couples qui se font, se défont et se croisent par hasard. Parmi eux, une professeur d’espagnol délurée qui noue une relation ambigüe avec un élève de 17 ans, une photographe qui largue brutalement son mec, une mineure qui vit avec sa sœur malade et rêve de retrouver l’homme qu’elle a croisé un jour dans un train et qui priait, etc…

Impossible de parler de Donoma, premier long métrage de Djinn Carrénard, sans évoquer la genèse du film. Car c’est d’abord le pari insensé d’un réalisateur de 30 ans qui a voulu faire un film sans passer par un lourd système de production.

Réalisé avec un budget 150 euros (si, si), Donoma est un projet qui colle d’abord à l’urgence de créer pour son réalisateur et sa bande d’acteurs (on allait dire de potes). Djinn Carrénard est ainsi le scénariste, le réalisateur, le monteur, l’ingénieur son et l’un des acteurs d’un projet né au retour d’un voyage à New-York à la fin des années 2000 et qu’il a voulu mettre en scène rapidement.

Laura Kpegli, Sékouba Doucouré

Sous-titré Guerilla film, Donoma porte bien son nom. Le climat de crise économique a paradoxalement décuplé l’énergie créatrice de son réalisateur, le poussant, dans cette économie de moyens, à trouver des solutions inédites et une sorte de système « D » habile pour pouvoir mener à bien son projet qui prend l’allure d’un manifeste, d’un plaidoyer pour une manière nouvelle de faire du cinéma quand on n’a pas d’argent.

Et le résultat dépasse les espérances, à commencer par son scénario, construit en forme de va-et-vient permanents agrémentés de flashbacks entre des personnages qui se croisent par hasard comme dans De l’autre côté de Fatih Akin ou Babel d’Alejandro González Inárritu.

Les dialogues regorgent de trésors (d’humour et de chaleur humaine entre les personnages), le scénario d’imagination et ces jeunes acteurs excellent dans cette peinture bien sentie des sentiments d’une génération contemporaine entre 20 et 30 ans. La caméra est nerveuse, qui passe sans cesse d’un visage à l’autre, obnubilée par la véracité de la scène jouée et la capacité de ses acteurs à rendre charnelle une situation et à émouvoir (ce qui se produit sans qu’on s’y attende).

On pense à Cassavetes mais le réalisme chez Carrénard n’empêche ni la poésie ni des emprunts à la danse ou à l’univers de la chorégraphie. Dans cette vision très incarnée des rapports humains au cinéma qu’a Carrénard, le cadre ou la netteté sur les visages sont des éléments qui passeraient presque au second plan.

 Alors, bien sûr, il y a des reproches qu’on peut faire, comme cette voix off et ces commentaires trop littéraires notamment de Chris (Laura Kpegli, un peu en dessous des autres acteurs) sur son enfance. Donoma, que l’on pourrait comparer à un roman en feuilletons, épouse un peu trop parfois le format d’une série télévisée. Mais il y a un tel vent de fraicheur qui souffle sur ces acteurs qu’on ne boude pas son plaisir. Les défauts de Donoma, il semble que Carrénard en soit lui-même conscient au moment du tournage, qu’il compense par une direction d’acteurs irréprochable et l’énergie nouvelle qu’il insuffle à chaque scène.

La construction et l’imbrication du scénario sont idéales, à tel point qu’on regrette presque au bout de 2 heures 10 que le film soit déjà terminé tant il pourrait continuer des heures.

Mais au-delà de toutes ces qualités, de la synergie qui existe entre ces acteurs et leur réalisateur, c’est le jeu d’Emilia Derou-Bernal (la professeur d’espagnol) qui impressionne. Elle illumine le film de bout en bout, torche vivante, flamme qui menace à tout moment de faire exploser la cocotte-minute de Donoma, résumant à elle seule tout le feu qui l’anime. La formidable vitalité qui s’en dégage…

www.youtube.com/watch?v=XiQiV17WPQU

Film français de et avec Djinn Carrénard, Emilia Derou-Bernal, Vincente Pérez… (02h10)

Scénario : 4 out of 5 stars

Mise en scène : 3 out of 5 stars

Acteurs : 3.5 out of 5 stars

Dialogues : 4 out of 5 stars

Compositions : 4 out of 5 stars