De la musique pour ce premier épisode d'une série narcissiquement et amoureusement consacrée à "cette vieille cité qui se met à rayonner" et la chanson s'appelle "Paris je t'aime d'amour". J'aurais bien aimé l'interprétation d'Eddie Constantine qui fut Lemmy Caution, agent fédéral en mission à Paris, pour John Berry et Jean-Luc Godard, car je l'aime et il chantait ce titre dans une improbable comédie un peu musicale que ma soeur Suzanne m'avait emmené voir, dans un de ces cinémas permanents parisiens où on pouvait rester pour plusieurs séances, et on ne se gênait pas pour y rester, et j'aime ma soeur. Mais je n'ai pas trouvé, alors voici la version d'Henri Crolla. Vous souvenez-vous de ce musicien proche de Prévert et du Groupe Octobre, l'égal de Django, ami et longtemps sideman d'Yves Montand. D'ailleurs, Yves Montand lui avait présenté celle qui allait devenir sa femme. Pas bégueule, c'est Henri Crolla qui présenta son amie Simone Signoret à Montand. Simone avait paraît-il pris l'habitude d'appeler Crolla la Crollette. Chère Signorette.
2. Derrière la gare St Lazare, Henri Cartier-Bresson (1932).
La Fondation Henri Cartier-Bresson est un très bel endroit pour voir des photos. J'y ai (re)découvert des photographes célèbres comme Walker Evans (voir le Dossier de presse de l'expo croisée Evans et Cartier-Bresson de 2008) et moins célèbres, comme Guy Tillim (voir le Dossier de presse de l'expo à la Fondation HCB). Le fonds conservé est impressionnant et les locaux de l'impasse Lebouis deviennent, semble-t-il, trop exigüs pour le valoriser. Le produit de la récente vente de tirages originaux (le 11 novembre) signés et issus d'un ensemble de doubles des archives de la Fondation (cette vente n'appauvrit donc pas réellement le fonds) financera en partie un projet de déménagement.
Lors de cette vente, un tirage datant de 1946 (Derrière la gare St Lazare, HCB, 1932) a été attribué pour 433 000 €, ce qui constitue paraît-il un record mondial pour cette catégorie d'oeuvre. Effectivement, ça fait cher le déclic. Argent. Argentique. Nostalgie. Est-il plutôt paradoxal ou plutôt triste de fixer dans un bain de pognon une épreuve (c'est, selon la Fondation, le tirage le plus ancien connu de ce cliché) du fondateur de l'Agence Magnum, d'un des inventeurs du photojournalisme, de l'initiateur avec Ronis, Doisneau et Boubat du courant dit "humaniste" de la photographie, homme de gauche et photographe, pas homme d'argent qui disait tendre à son époque, par son art, un "miroir fraternel" ? Pourquoi, me direz-vous, la photographie échapperait-elle aux lois du marché qui contrôle la peinture, le cinéma, la littérature, les Etats ? Je sais, je ne suis pas si naïf, juste (je me répète) nostalgique comme on peut l'être en feuilletant un album retrouvé dont chaque image te dit : voilà, on arrête tout, maintenant c'est à toi de jouer, vis ta vie. Je n'aime pas que l'argent sale (celui de la spéculation sur les oeuvres d'art, par exemple, aussi sale que l'argent de la drogue) vienne pervertir mes souvenirs en images.
Où devra-t-on courir pour les découvrir ces images du passé, dont la Fondation nous a fait cadeau (c'est gratuit le mercredi soir) ? Je connais des endroits dans le Marais, près de la Maison européenne de la photographie, où il ferait bon flâner le nez en l'air parmi ces miroirs de notre passé collectif, surprenants, émouvants, parfois pédagogiques, toujours passionnants à visiter.
Actuellement à la Fondation, une expo Lewis Hine, photographe américain militant.
La nostalgie, donc. C'est aussi ça la vie parisienne à laquelle j'ai souhaité consacrer quelques billets en cette fin novembre, alors que certains trottoirs de la ville se teintent du roux des feuilles d'automne. Nostalgie éloignée des lieux et événements exposés au regard inquisiteur d'une certaine médiocratie moutonnière.
A propos, j'ai vu l'expo Diane Arbus au Jeu de Paume. Je l'ai vue comme tout le monde il semble, tant j'ai l'impression que tout le monde en parle ou en a parlé, à croire que cette photographe secrète à l'approche artistique si personnelle est devenue d'un coup de baguette médiatique une des coqueluches de la vie parisienne, une incontournable, un must, la reine des cupcakes). Pour tout dire, le consensus étrange des blogueurs parisiens autour d'une exposition consacrée à l'une des plus anticonformistes des photographes new yorkaises, qui se montrent tous la langue pendante devant leur nouvelle icone (qu'ils ignoraient pour la plupart il y a six mois, d'où certains copier-coller dérangeants pour alimenter leurs "articles" dythirambes) exhale les relents désagréables d'un nouveau conformisme nourri de snobisme mode et respirant un vide sidérant.
L'oeuvre de Diane Arbus, peuplée de freaks et autres personnes non conformes est passionnante. Et dérangeante, certes. Les deux murs qui lui étaient consacrée lors de la très belle réprospective 70', la photographie américaine, en 2008 par la BNF, exhibaient une série de portraits qui vous tiraient par le coeur d'une main glacée entre humour tendre et désespérance, comme un baiser au goût inattendu de fatalité. Il y avait alors une quinzaine d'images qui faisaient contraste, qui témoignaient d'un réalisme bizarre et vaguement pervers, d'un voyeurisme à visée sociale.
Le Jeu de Paume aligne 200 tirages, ce qui est considérable et il s'en fallait de très peu pour que le quantitatif se fasse qualitatif. Au risque de déplaire, j'avoue que 200 fois un portrait de face, immobile, forcément immobile, voire en l'occurence figé, un peu congelé, ça ne comble pas l'estomac, ça le bétonne. Et le parti-pris de livrer les photos en vrac (sauf une ou deux séries aux logiques inaliénables), comme sorties d'une boite à chaussures, sans classement ni hiérarchisation, sans information de contexte autre que le lieu et la date, n'aide pas le visiteur à faire son petit chemin. La promenade est longue et c'est déjà à bout de souffle qu'on atteint les deux dernières salles, celles qui offrent enfin mais un peu tard le matériel documentaire (carnets, agendas, citations, objets personnels, notes biographiques) de nature à humaniser ce considérable ensemble très brillant de photos glacées, trop glacées.
Mes sincères félicitations au commissaire de l'expo pour avoir réussi à réduire une oeuvre humaniste (voir plus haut, mais ce qu'Arbus doit à W. Evans est évident) et touchante en catalogue de clichés récurrents sur la bizarrerie humaine couchée sur papier refroidi.
L'image que je conserve en mémoire, comme échappée d'un album de l'époque, celle qui, parmi toutes, a mon affection, est celle de cette famille qui semble réellement "prise sur le vif" avec l'air étonné de la maman levant la tête vers son géant de fils, comme surprise de le découvrir si haut, tout comme une petite fille au réveil contemplerait la stature de son propre père, au dessus du lit. C'était en 1970. Un an après, Diane Arbus mettait fin à ses jours, juste après l'achat d'un nouvel appareil photo destiné à réaliser un nouveau projet. L'exposition ne nous aide en rien à comprendre cette réalité là.
Je critique, mais je savoure le privilège parisien d'accès à certains événements. Je savoure encore plus la possibilité donnée, parfois, de partager ces événements. Une note positive pour finir.
Une heureuse circonstance m'a permis de découvrir (j'en connaissais l'existence, mais n'avais pas été tenté) l'Opéra dans une salle de cinéma. Gaumont-Pathé a eu l'intelligence de conclure un partenariat avec l'Opéra de Paris et propose régulièrement des séances en direct de l'Opéra Garnier ou Bastille, "comme si vous y étiez". Ou presque.
Ce soir là, c'était La source, une création chorégraphique du danseur étoile Jean-Guillaume Bart, assisté du dramaturge Clément Hervieu-Léger, sur une partition enlevée de Léo Delibes, riche de bien des potentialités romanesques. Est-ce l'effet des costumes signés Christian Lacroix, mais cette source m'a semblé un miracle de somptuosité et de légèreté.
Ceci étant, l'Opéra au cinéma, ce n'est pas l'Opéra. Mais on ne va pas non plus faire la gueule au prétexte qu'on est dix fois mieux assis qu'à Garnier en payant huit fois moins cher. Ce n'est pas non plus du cinéma. L'effet "retransmission en direct" empêche le point de vue personnel du réalisateur sur le film, point de vue qui nécessite un travail dans la durée, un découpage et un montage. Là, restent la précision et la virtuosité d'équipes sans doute formées à l'école télévisuelle du direct. J'imagine la tension en régie pendant l'événement, le champagne débouché après, lorsque tout est terminé et que, si des difficultés se sont manifestées, le spectateur n'y a vu que de l'eau et de la magie.
Cette première expérience emballante méritait un approfondissement. Dimanche dernier, c'était La Belle au bois dormant, en direct du Bolchoï. Et à venir, des représentations live du Metropolitan Opera de New York. Le monde entier dans votre salle de quartier. Et l'expérience n'est pas limitée à Paris, une grosse partie du réseau Gaumont y participant et vraiment, pour environ 20 € la place, ce n'est pas un racket.
De la musique rock, cette fois, pour l'épisode 3 de mes aventures parisiennes avec un petit match Paris-Province. Bonne fin de semaine.