« Les honneurs déshonorent, le titre dégrade, la fonction abrutit »
Gustave Flaubert
Ah qu’il doit être doux d’être le chef incontesté d’un parti monolitique où le débat démocratique interne est une vue de l’esprit et où l’on peut impunément traiter ses collabateurs de connards incompétents. Ce qui n’est peut être pas dénué d’un fond de vérité, mais c’est un peu la charité qui se moque de ce qui restera de l’hôpital quand la perte de notre AAA nous plongera dans les flammes de la géhenne. Sarkozy n’a pas besoin de faire la danse du ventre à ses alliés: soit ils abandonnent le combat avant qu’il n’ait commencé (Borloo ou Villepin) soit ils sont promis à un score proche du quotient intellectuel de David Douillet (Hervé Morin). En revanche, François Hollande sait que les kilos perdus ne l’ont pas encore rendu assez léger pour soulever l’espoir chez le « peuple de gauche », et qu’il a besoin d’Europe Ecologie-Les Verts pour poser son étique fessier à l’Elysée.
Les Verts étaient à une époque un parti où il y avait encore plus de courants que chez Areva. Beaucoup se sont gaussés de l’indiscipline chronique qui règnait dans les rangs des écolos, mais ce joyeux foutoir est en fait une séquelle de la liberté qui y prévaut. On a tendance à l’oublier de nos jours, mais un débat politique où on ne s’engueule pas, c’est juste du chipotage consensuel. Certes, on a bien rigolé avec les candidats irréductibles pour qui les opinions d’autrui sont totalement équilatérales (suivez mon regard vers la moustache de Bègles), et on a attrapé des écailles à force de voir Dominique Voynet gober des reptiles de dimensions variables aux jours heureux où l’austère se marrait. Puis sont venues les épousailles avec Europe Ecologie, et comme dans tous les mariages, il y en a un qui s’emmerde et l’autre qui est malheureux. Qui a essayé de tromper l’autre en invitant Monsieur Hulot et son cortège de sponsors chimiques à affronter Eva Joly pour une place de candidat à la présidentielle, ce n’est pas à nous d’en juger car la vie privée est sacrée. Reste que le Claire Chazal de l’environnement s’est pris une trempe de part de la juge (et un seau d’épluchures de carottes par des militants) et Monsieur Hulot est parti en vacances. Une fois investie candidate, Eva Joly a affirmé qu’il n’y aurait pas d’accord électoral si le PS ne s’engageait pas à dénucléariser le pays. Si Martine Aubry a prêté une oreille attentive aux revendications des anti-nucléaires, François Hollande qui avait rangé ses convictions dans les lipides éliminés se voit mal déclarer aux 4000 salariés de l’usine de retraitement de la Hague qu’ils vont pouvoir inscrire leur thyroïde à Pôle Emploi. Et comme EELV est au bord de la faillite, les écolos ont remisé la droiture d’Eva dans le même placard que leurs ex-grandes idées. Encore une victime du vote utile que je ne cesse de dénoncer avec une ferveur proche de ma détestation pour Renan Luce et ses amis qui sont respectivement des insultes à la démocratie et à la musique. Les partis politiques et les maisons de disques ont ceci en commun qu’ils vous incitent à acheter du surgelé consensuel et dégueu, bref c’est pas encore l’an prochain que je remplirai une urne, et pourtant le geste est érotique.
Fort heureusement, tout le monde n’a pas les mauvaises manières de Cécile Duflot, Jean Vincent Placé et Daniel Cohn-Bendit (qui a fièrement tenu tête à De Gaulle mais qui n’a pas échappé au naufrage de la vieillesse). Areva et la SNCF ont affrêté un train chargé de déchets radioactifs au départ de Valognes, qui est aujourd’hui bloqué à Rémilly, non loin de Metz, en attendant de savoir dans quelle direction l’envoyer pour esquiver les manifestants. Comparez une carte des départements qui ont subi les effluves de Tchernobyl, et la carte des circonscriptions où le Front National a cartonné, et vous comprendrez que cette étape et le prochain meeting de Marine Le Pen à Metz me rendent légèrement anxieux, et pourtant ma tension dépasse rarement le quotient intellectuel de Nadine Morano. Les protestataires vont en tout cas pouvoir expérimenter l’allongement des délais de carence dans le remboursement des indemnités journalières consécutives à un arrêt de travail, car entre les lacrymos et les radiations, pneumologues et radiologues vont passer un joyeux Noël. Pour une fois qu’un train partait à l’heure, c’est à vous dégoûter du service minimum. En tout cas, les sept cent kilomètres qui séparent Valognes de Rémilly ne devraient pas s’étonner de voir apparaître une faune et une flore mutantes dans les jours à venir. Donnons du grain à moudre à Hollande et à ceux qui soldent leur intégrité au prix d’un siège au Parlement, autrement dit pour pas un rond, sinon celui de serviette à la cantine de l’Assemblée. Depuis des années, des convois remplis d’atomes hostiles traversent le pays d’ouest en est dans un secret longtemps mieux gardé que l’origine des fonds d’une campagne balladurienne (et on élude volontairement la future privatisation du service public du train qui rendra ces voyages encore plus périlleux). Areva et la SNCF ne se sont d’ailleurs même pas donné la peine d’assurer que le train était sécurisé. Bouygues construit un EPR à Flamanville avec des murs encore plus fins et troués qu’une chambre du CROUS, et EDF en a l’air satisfait du sénateur qui sort de table. Les habitants de Rémilly ne devraient pas tarder à être phosphorescents. François Hollande, sur l’insistance d’Areva, supprime le fameux paragraphe sur le Mox dans ses communiqués de presse. Et Eva Joly, qui refuse de cautionner l’industrie et le lobby le plus puissant de France, est accusée de faire le jeu de Sarkozy et de Le Pen.
Dans un prochain épisode, puisqu’on n’avale plus des couleuvres mais des diplodocus, nous vous donnerons la recette du dinosaure sauce grand veneur, qui s’accomode particulièrement bien d’un calice électoraliste jusqu’à la lie.