Le Reader’s Digest à la française

Publié le 23 novembre 2011 par Arsobispo

Il est des reportages littéraires. Et quand il s’agit de William Vollmann, on peut simplement dire de la Littérature. Celle qui saisit le cœur tout autant que l’esprit. Dès les premières pages de sa dernière publication française, "Le grand partout" chez Actes Sud, l’auteur met les choses au clair : « Pendant qu’ils se forment, les mots établissent, ou pas, une relation de “sincérité” avec leur créateur. Une fois que celui-ci en a terminé avec eux, ils vivent tant qu’ils nous inspirent. ». Cela dénote bien la justesse de son propos et de ses actes, à savoir écrire par amour de ce qu'il aime, la vie, les mots, les autres,  pour lui avant tout et tant mieux si cela est partagé. Il avait d’ailleurs déjà passé le message. Je ne sais plus où j’ai pu le lire, mais je l’avais noté. Cela donnait : « J'écris pour me faire plaisir, pas parce que je suis égoïste (même si je le suis parfois) mais parce que le monde ne me doit rien et que l'idée de capter un marché me révulse. Si tu aimes ce que j'ai écrit, merci. Sinon, sans rancune.”

Photographie de l'auteur

Dans « Le grand Partout», nous sommes avec les descendants des hobos du siècle dernier, qui, aujourd’hui encore, parcourent les Etats-Unis en sautant dans les trains de marchandises. De ce qu’ils fuient, de ce qu’ils recherchent, c’est selon. Les motivations de ces vagabonds souvent à la dérive sont nombreuses. Un point commun toutefois, le refus de cette Amérique à la Bush. Et cet autre sentiment qui lie tous ces portraits, l’immense affection que leur porte l’auteur.

Portrait de vollmann par Jordan Domont, paru dans le New-York TImes

Merci à Actes Sud qui n'a pas dénaturé l'édition originale.

Il y a quelques temps déjà, j’attendais avec impatience son monumental essai, intitulé "Le Livre de violences", qui devait paraître aux éditions Tristram. Un regard – toujours aussi empreint d’humanité - sur les phénomènes de notre histoire à partir notamment de ses propres reportages dans diverses zones de conflits contemporains.

L'edition originale de "Rising Up and Rising Down"

Lorsqu’il était paru en 2003 chez Mc Sweeney’s, sous le titre « Rising Up and Rising Down » il était présenté dans un coffret comportant 7 volumes, soit plus de 5000 pages, avec notes, photos et annexes. Ce ne fut malheureusement pas le cas pour l’édition française. L’auteur a du condenser à la demande de Tristram son ouvrage à un millier de pages. Il était paru en octobre 2009, sous une maquette qui m’avait chagrinée. Toutefois, devinez ce que j’ai fait après avoir lu le début de l’introduction que je vous livre ?

« Sous sa forme originale, le présent ouvrage occupe sept volumes. La seule justification que je puisse en donner est que je crois qu’il avait besoin d’être aussi long. Pareillement, cette version abrégée n’a qu’une seule justification : je l’ai faite pour l’argent. En d’autres termes, je ne peux prétendre (encore que vous puissiez n’être pas d’accord) qu’une réduction à un seul volume représente une amélioration par rapport à la version complète. Pour autant, elle n’est pas nécessairement pire. Et pour commencer, la possibilité existe désormais que quelqu’un puisse la lire. De surcroît, comme la seule méthode à laquelle j’aie pu penser pour catégoriser les prétextes à la violence était de type inductif, et comme mes conclusions sont (je l’espère) l’inverse du dogmatisme, il semble n’y avoir aucune raison pour que vous vous infligiez la fastidieuse récapitulation de mes glanures et de mes concaténations : n’hésitez pas à créer les vôtres. »

L’éditeur précisait que le livre serait complété par de nouveaux volumes. Le premier d’entre eux paraissait en ce début d'année 2011 sous le titre "Roi de l’opium et autres enquêtes en Asie". D’autres suivront-ils ?

Je regrette toutefois ce concentré qui élimine les scories plus personnelles, les anecdotes plus humaines, les regards en biais plus intimistes… 

Aux dernières nouvelles Volmann récidive avec « Impérial », l'exploration d’une grande plaine du sud-ouest des États-Unis (Imperial County en Californie, le long de la frontière avec le Mexique) à la manière de cet écrivain-explorateur . Publié par powerHouse Books, « Impérial », est presque aussi monumentale dans sa forme que « Le livre de la violence » ; plus de 1500 pages au total, comprenant de nombreuses photos et cartes, annexes, notes, bibliographies et références

vollmann boy & painted border fence. photographie de l'auteur

Si une version française voit le jour, il est désormais certain qu’elle sera tout autant expurgée que le livre de la violence ! Ce sera bien dommage.

Pour continuer sur le sujet, voir l’interview de Volmann qu’a recueilli l’excellent site Fric-frac Club