Réflexion

Publié le 23 novembre 2011 par Feuilly

On se demande parfois quelle position il convient d’adopter en ce qui concerne la marche du monde. Je veux dire d’un point de vue existentiel. Que peut l’individu face à des événements extérieurs qui le dépassent et qu’il est bien incapable de faire changer ? J’ai l’impression parfois de tourner en rond, ce qui est bien un aveu d’impuissance. Ainsi on peu s’indigner (terme devenu à la mode) de bien des choses. Ce ne sont pas en effet les occasions qui manquent. Entre la situation en Palestine, la colonisation forcée israélienne, la guerre impérialiste et économique en Libye, la situation en Syrie, le printemps arabe égyptien qui tourne inévitablement au bain de sang par manque de réformes, la crise de la dette, la mainmise des banquiers sur nos institutions démocratiques, le recul de notre état social, le chômage des jeunes et des moins jeunes, la réforme des retraites, l’augmentation des prix, la volonté du grand capital d’exploiter encore un peu plus la population et son désir de lui mettre le couteau sur la gorge pour qu’elle rembourse les banques, entre toutes ces situations, dis-je, on n’a que l’embarra du choix.

Mais que faut-il faire ? Ne pas analyser ce qu’il se passe, fermer les yeux et les oreilles et se donner l’illusion que tout va bien ? Ce ne serait digne ni d’un homme ni d’un citoyen.

Ecrire un peu partout son indignation ? Certes, cela soulage, mais ne fait pas bouger les choses.

Agir ? Mais comment ? Même en restreignant son action à son pays ou à sa ville, un individu seul ne peut pas grand chose.

Reste donc la possibilité de tout voir et de tout entendre mais de se taire quand même et doncde ne pas agir et de ne rien dire.

Drame existentiel s’il en est car ce qui se cache là derrière c’est l’impact que nous pouvons avoir sur le monde qui nous entoure. Or il faut bien avouer que cet impact est quasi nul. Pour que cela fonctionne un peu, il faut que des milliers et des milliers de personnes se lèvent ensemble au même moment. On a pu le voir autrefois lors de manifestations contre la réforme de l’enseignement, par exemple, qui ont contraint un ministre à retirer son projet. Mais cette victoire est toute relative car à la législature suivante la quasi-totalité du projet est quand même adoptée. Il en a été de même en Egypte. Le printemps arabe a su faire démissionner Moubarak (au prix de combien de morts ?) mais finalement rien n’a fondamentalement changé. L’armée est au pouvoir avec les cadres de l’ancienne équipe dirigeante et les réformes se font attendre. D’où les nouveaux bains de sang de ces derniers jours qui aboutiront soit à un semblant de réforme, soit à un durcissement de la position de l’armée, ce qui sonnera définitivement le glas de toute aspiration à la démocratie. Toute action collective semble donc elle aussi en grande partie vouée à l’échec.

Donc, entre mon monde intérieur et la réalité extérieure, subsiste toujours le même gouffre. Même si j’ameute un certain nombre de mes semblables en les rendant conscients de certaines injustices, rien ne changera. C’est à désespérer. Pour le monde d’abord, car ceux qui sont aux commandes peuvent continuer à le diriger pour leur seul profit. Mais c’est à désespérer pour moi aussi car à partir du moment où je renonce à faire bouger les choses, je deviens au mieux résigné devant le système, au pire complice, par mon silence, de ce même système.

Pourtant, d’un autre côté on n’a qu’une vie (et elle est courte comme disait l’autre). Que m’importe finalement le sort des Palestiniens ou celui des Egyptiens ? Que m’importent les injustices que je vois commettre sous mes fenêtres si moi j’ai de quoi manger et de quoi acheter mes livres ? Serai-je plus heureux si demain il existe un état palestinien ? Non bien sûr. Ma vraie vie est ailleurs. Imaginez par exemple un jeune homme et une jeune fille de vingt ans qui tombent amoureux. Vont-ils gâcher leur jeunesse et refuser d’être heureux parce qu’en Egypte l’armée tire sur le peuple ? Ou parce dans leur commune des immigrés dorment dans les parcs parce qu’ils sont en situation illégale ? Non, ils seraient bien bêtes de perdre un beau moment de leur vie.

Le bonheur suppose-t-il donc l’égoïsme ? Peut-être bien. Ce qui est certain, par contre, c’est que la seule vérité qui vaille pour soi c’est celle que l’on a au fond de soi, précisément. S’il est dans ma nature d’être peintre ou musicien, par exemple, ce serait un crime de ne pas peindre ou de ne pas jouer de la musique. Ce que je peux apporter d’essentiel au monde, finalement, c’est cela, cette vérité tout intérieure. En réalisant ce que j’ai en moi ou du moins en tentant de le réaliser, j’approche tout doucement de ce qui est essentiel pour moi dans la vie. L’idéal étant sans doute de concilier les deux aspects, comme Malraux qui parvient à être écrivain tout en participant aux combats qu’il estime justes.

Il n’empêche qu’entre ma petite musique intérieure, qui m’est essentielle, et le bruit et la fureur du monde, il y a bel et bien un hiatus. Il reste donc la solution de laisser ce monde aller là où il veut aller tout en se concentrant sur ce qui fait ma spécificité. Attitude égoïste certes, mais attitude qui permet de survivre. Se résigner à accepter l’imperfection du milieu extérieur et partir à la recherche de sa vérité intérieure. C’est Darwich qui tourne le dos à l’action politique et qui écrit des poèmes sur la beauté de sa terre natale, la Palestine. Ce que faisant, il s’accomplit en temps que poète et sans le savoir il donne un sens à son pays en lui prêtant sa voix. Sa petite voix intérieure.Car la Palestine, ce pays fictif, n’existe aujourd’hui que dans et par les vers de Darwich.