FORETS QUI PORTEZ TOUT
Forêts qui portez tout
Forêt primitive
Elle nous conduit
jusqu'à ce que nous sommes
S'en souvient-elle
de ce long silence après l'orage
de cet embrasement ultime
entre le gel et le feu
Des nuits anciennes
avant le verbe avant les maux
avant même que l'homme ne prenne racine
Forêt de chair indomptable
Ici
rien n'est tout à fait mort ni tout à fait vivant
Parfois
Je cherche et guette
le moindre bruit du vent
Quand le ciel est noir
que la lune s'éclipse
Je songe à l'infini
de la forêt immense
Le calme est tel
qu'un chant y raisonne
Un oiseau sur la branche
se pose s'envole puis disparaît
Forêt Impénétrable
Plus je m'en approche
plus je m'en éloigne
Trop faibles sont mes pas
et je porte avec peine
Tout le poids solitaire du voyageur
Moi qui n'ai de souci
que de flâner d'un pas tranquille
Suivre
le cours d'eau du ruisseau
M'enfoncer et me perdre
dans les méandres de la forêt profonde
Forêt éphémère
Son souffle emporte tout
bien avant que la flamme
ne s'éteigne avec l'aube
Au loin
s'étend un horizon confus
de sève de cendres et de larmes
On dit
que l'absence n'est qu'une illusion
si la parole demeure
et propage son chant
J'attends dans la nuit
une éclaircie qui ne vient pas
Entendez-vous bramer le cerf dans la forêt qui gronde ?
Forêt carnivore
Chaque nuance
amplifie le rythme
Au gré du vent
la colline immobile
se prosterne dans les muscles du temps
Ici ce n'est
qu'un chevauchement de désir
Bouches dédoublées à l'infini
sous la morsure des strates
avant le baiser des veines assassines
Un territoire de peau incandescente
dans le vacarme des forces sismiques
Forêt captive
Il faudrait
d'un seul regard
entrevoir la plaine
retranchée dans ses quatre coins
entre le gris du ciel
et cette terre d'argile
qui court vers la forêt profonde
où nul homme s'invite
Ici où là
émergent d'énormes rochers blancs
si ce n'est quelques feuillages
rouges et mauves
égarés aux pieds des grands arbres
qu'un incendie menace
comme peau de chagrin
Pourtant
la nuit, tout près
j'entends le bruit du torrent
sur la pierre qui roule
annoncer le printemps
Forêt perpétuelle
Les vapeurs de l'étang
ont la couleur du ciel
De l'arbre en fleurs à l'arbre mort
quelle distance nous sépare
La mousse colore
le printemps des pierres
alors que les feuilles mortes
recouvrent déjà tout un désert de ronces
Le fleuve est sombre
et la pluie va tomber
Ne pas sombrer au creux de la vague
que porte le vent qui se lève
Seul sur ma barque de passage
je songe
et regarde un nuage
qui s'enfuit au loin
Forêt de lumière
Tu dis neige !
Un rouge soleil
recouvre la roche qui se dérobe
On distingue à peine
un dernier nuage
dans sa quête perdu du ciel
Fleuve qui se prolonge
au travers des gorges profondes
Au loin
un chemin nous emporte
avant que le soir nous rattrape
au pied de la montagne noire
Je vais, je viens
mais sans laisser de trace
Richard Taillefer