Le dirigeant de facto de l'Égypte, Mohamed Hussein Tantaoui, a fait part hier soir de la volonté du Conseil suprême des forces armées (CSFA) d'accélérer le transfert du pouvoir au civil après quatre journées d'affrontements. La réaction des manifestants massés à la place Tahrir aux propositions de l'armée, dont celle de tenir l'élection présidentielle en juin, ne s'est pas fait attendre: «Dégage!» ont-ils scandé d'une seule voix, appelant le CSFA à quitter sans tarder le pouvoir.
L'armée avait pourtant accédé à la plupart des revendications des manifestants. Au terme d'une réunion qui a duré plus de cinq heures, le CSFA s'est notamment résolu à fixer une date butoir pour la tenue de l'élection présidentielle: juin 2012. Le scrutin ne devait pas avoir lieu avant le début de l'année 2013, soit après la rédaction de la future Constitution, selon le plan de transition suivi jusqu'ici par l'armée.
Dans un autre pas vers les manifestants, le Conseil suprême a annoncé la mise en place d'un gouvernement d'union nationale constitué de personnalités issues de plusieurs formations politiques. Il s'est toutefois gardé d'en faire connaître sa composition sur-le-champ.
Les militaires pourraient se contenter de remplacer les ministres de l'Intérieur, Mansour el-Issawy, et de l'Information, Oussama Heikal, tous deux dans le collimateur des manifestants.
Le mouvement prodémocratie du 6 avril, qui avait entrepris la révolution de janvier, proposait hier matin depuis la place Tahrir trois noms pour le nouveau gouvernement. Celui d'Abdel Moneim Foutouh, ancien cadre des Frères musulmans, dissident de la confrérie; celui d'Hazem Abou Ismaïl, cheikh salafiste très populaire, qui est descendu à plusieurs reprises ces derniers jours à la place Tahrir; enfin celui de Mohamed el-Baradei, opposant libéral, qui s'était fait connaître sous le régime de Moubarak en se posant comme candidat à la présidentielle contre l'ex-raïs. Tous les trois sont candidats à la fonction suprême.
Le CSFA a évoqué durant sa réunion la possibilité de nommer l'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed el-Baradei, comme nouveau premier ministre, a affirmé à l'Agence France-Presse une source militaire, mais cette hypothèse n'a pas été confirmée.
L'armée s'est également prononcée pour le maintien à la date prévue, lundi, du coup d'envoi des élections législatives qui doivent se dérouler sur une période quatre mois, à la grande satisfaction des Frères musulmans.
«L'armée ne veut pas le pouvoir», a assuré le maréchal Tantaoui dans une allocution télévisée, ajoutant que le CSFA était également «prêt à remettre les responsabilités immédiatement, si le peuple le souhaite, à travers un référendum populaire».
«Ma réponse aux propositions de Tantaoui... ma chaussure dans sa tronche!» a lancé une protestataire en colère sur le réseau social Twitter.
Principale force d'opposition du pays, la confrérie, par son bras politique, le parti Liberté et Justice, entend bien remporter les premières élections de l'Égypte post-Moubarak. Les Frères musulmans n'ont pas économisé leurs efforts lors de la campagne et auraient eu beaucoup à perdre en cas de report du scrutin. Cet enjeu électoral expliquerait leur position ambivalente par rapport à Tahrir. Les Frères musulmans n'ont condamné l'armée que lundi soir, trois jours après le début des violences, et n'ont pas participé à la mobilisation du million organisée hier.
À la place Tahrir, ces concessions ont été accueillies plutôt froidement par les dizaines de milliers de personnes qui s'étaient rassemblées pour exiger le départ de l'armée. Pour beaucoup, l'armée aurait dû mettre en oeuvre ses mesures il y a bien longtemps. «C'était le pacte d'origine. Six mois pour organiser la transition et khalass, fini!» rappelle Nouha, une étudiante en pharmacie âgée de 23 ans. «Le 25 janvier, nous ne demandions que la démission du ministre de l'Intérieur et la fin de la répression policière. Le pouvoir ne nous a pas écoutés. Il nous a brutalisés à coups de bombes lacrymogènes. Alors le 28 janvier, nous sommes descendus avec l'envie de faire tomber le régime. C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui», renchérit un jeune homme, un masque à gaz pendu au cou.
Des affrontements ont également éclaté hier à Alexandrie, Port-Saïd, Suez, Qena,
Assiout et Aswane, ainsi que dans la province de Daqahliya, dans le delta du Nil.
Source : LeDevoir
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