UN DRAME VRAI, d'après Maupassant

Publié le 23 novembre 2011 par Dubruel

Dans une propriété de famille

Vivait une jeune fille

Courtisée par deux frères.

Elle préféra l’ainé, Albert.

Le cadet, sylviculteur,

Devint sombre et rêveur.

Dans sa chambre il s’enfermait.

Il lisait ou méditait.

Une semaine avant le mariage,

Alors que le fiancé, sous l’orage,

Rentrait de chez la jeune fille,

Il reçut un mortel coup de fusil.

Jamais n’a été retrouvé le criminel.

Il n’existait aucune trace formelle.

Le seul indice

Qui aurait pu aider la justice

Était un bout de papier

Dont le meurtrier se serait servi

Comme bourre pour son fusil.

Bien que partiellement brûlé,

On arrivait à lire sur ce vélin

Quelques vers d’un refrain

De chanson. Mais on ne put retrouver

Le livre dont cette page était arrachée.

Vingt ans après,

Le cadet, marié,

Heureux, riche et considéré

Est père de trois filles.

L’une d’elles va épouser.

Le fils d’un ancien magistrat,

Un de ceux qui avait siégé

Lors de l’assassinat d’Albert.

À la noce, les deux pères

Dinent, boivent, plaisantent

Et au dessert chantent.

Le père de la jeune épousée

Se met à fredonner de vieux couplets.

Son voisin, le magistrat,

Lui demande où il a trouvé cette chanson-là :

-J’en connais les derniers vers.

Il me semble même qu’ils sont liés

À quelque grave procès,

Perdant la mémoire de plus en plus,

Il ne souvenait plus…

Cependant l’obsession

Des souvenirs indécis, cette démangeaison

Constante de retrouver ce qui lui échappait

Sans cesse, harcelait ce père. Il fredonnait

Le refrain que son ami avait chanté

Mais ne retrouvait

Toujours pas d’où lui venaient

Puis un jour, en feuilletant de vieux papiers,

Il retrouve ces rimes qu’il a tant cherchées.

C’étaient les vers du fameux déchet

Alors il recommence l’enquête

Et retrouve, saperlipopette !

Chez son ami l’ouvrage

Dont avait été arrachée la page.

C’est en ce cœur de père que maintenant

Se passe ce drame étonnant

Ce drame étonnant.

Son fils

Est le gendre de celui

Qu’il soupçonne ;

Mais si celui qu’il soupçonne

Est coupable, il a tué

Son frère pour lui voler sa fiancée !

Nouveau procès.

L’assassin est le frère, en effet.