Transatlantique
François Laplantine
Ed Payot, 1994
Si le thème du miroir, du double et du dédoublement de soi-même
traverse les pages de ce livre, une impulsion plus fondamentale les a
provoquées. Un véritable tropisme vers l'autre, le différent,
l'inconnu, l'étranger, le distinct, ce que Pessoa a appelé les hétéronymes. Non plus la recherche du double ou de l'âme soeur, mais
au contraire l'aptitude que nous avons tous à être multiple, non
seulement différent des autres mais différent de soi-même.
Né du refus de se voir désigner une place ou assigner une forme, cet
ouvrage est aussi né du désir de pouvoir se déplacer librement entre
des espaces, des langues et des langages différents. II s'est constitué
à partir de deux motifs.
Le premier explore le rapport au double, au différent et au divisé, et
pose la question des personnalités multiples. Ce thème, habituellement
désigné en anthropologie par la transe ou la possession, est parcouru
ici à partir de la littérature, et en particulier du roman. Il nous
conduit à nous interroger sur les frontières — là où s'élabore du
mélange, du métissage, de l'impureté — et à réfléchir sur le passage et
le voyage.
Le second motif précise et amplifie le premier. Il s'agit d'un parcours
à double sens, cette fois entre deux continents : l'Europe et ces
Amériques que l'on dit latines, qui se sont constituées
originellement en tant que doubles et répliques des sociétés
européennes. L'auteur nous engage à sa suite dans un cheminement nomade
qui va se frayer une voie dans les marges des genres établis, aux
confins de l'anthropologie et de la littérature. Les récits racontés
sont formés d'une confrontation permanente entre des termes dont aucun
ne peut être tenu pour la mesure des autres. La pensée méthodique et
disciplinée de la science, la pensée tout aussi exigeante du roman. La
raison et l'imagination. Les regards qui vont se croiser de ceux qui
sont restés sur la rive européenne de l'Atlantique et de ceux qui sont
nés ou sont partis pour sa rive américaine.