Je m’appelle Paul Hammer, et je suis un enfant illégitime. La salle reste en plein feu. On pourrait penser à une improvisation. Paul dévide un parcours accablant son père avant de retrouver une mère qui n’est guère plus aimante. La lumière faiblit, nous ramenant à notre position (confortable) de spectateur qui n’aura pas besoin de prendre parti.
Attachez vos ceintures. La descente sur Bullet Park peut commencer. Une petite communauté très sympathique nous dira-t-on à la fin de la pièce.
Ce n’est pas par hasard si tout le monde s’accorde pour qualifier l’auteur, John Cheever, de Tchékov des banlieues parce que dans ses personnages on retrouve l’alternance du sublime et de l’insignifiant qu’Irène Némirovsky avait pointé dans la préface de son livre, la Vie de Tchekhov. Et ce n’est pas tant que cela non plus par hasard que Rodolphe Dana et Katja Hunsinger ont choisi de faire une adaptation théâtrale de son roman. Ils venaient de travailler sur Oncle Vania … et leur travail est très réussi.
Certes il faut resituer la pièce dans l’Amérique de la fin des années 60, alors que le consumérisme devenait une idéologie substitutive au paradis perdu et que la jeunesse sombrait dans une dépression post-traumatique à la guerre du Vietnam et au conflit cubain. Le rêve américain se diluait définitivement dans un culte du matérialisme qui épousait la forme d’un carcan normatif, puritain et conventionnel, ouvrant sur un vide intérieur et sur la solitude pour tous ceux qui n’entraient pas dans le moule. L’utopie tournait alors au cauchemar.
Sans aller jusqu’à débusquer le sublime et l’insignifiant on peut tout de même facilement repérer l’alternance de registre entre la tragédie et la comédie. Ce soir le public riait volontiers des situations cocasses qui s’enchainaient de manière quasi surréaliste.
Rire franc car l’interprétation du Collectif des Possédés est toujours finement spectaculaire. Rire grinçant aussi au second degré. Serions nous comme eux, cédant à la pression de la mode, retrouvant son voisin de palier le dimanche prendre les mesures de sa nouvelle cuisine dans une célèbre enseigne scandinave ? Parvenons-nous à ne pas céder à la pression de l’uniformisation ? Nous reste-t-il un espace de liberté ?
Nous assistons à l’affrontement de deux familles, les Hammer versus les Nailles, en se demandant si les marteaux auront raison des clous … et en s’interrogeant sur la proximité des personnages avec notre quotidien. De quel coté sommes-nous ? Le pire serait de se laisser coincer entre le marteau et l’enclume ...