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Ludovic Degroote, La Digue, épisode 13/14
On n’est jamais assez libre de sa propre langue, à plusieurs dedans on se trouve seul ; on attend que ça fasse bouche, que la pluie s’engouffre.
Le monde est seul d’être à soi, réduit à rien, entre les villas à droite et la mer à gauche, on marche dans le même sens, on parle de revenir, seulement – à bien les observer, les maigres joies réduisent.
On a bougé, on n’est pas meilleur, le regard n’est plus le même, la boue n’a pas la même couleur, on n’est pas plus sain, trop près, toujours trop loin.
Le temps de s’arrêter ça passe, on ne s’en défait pas, si on pouvait garder juste cinq ou six mots pour le dire, on serait tranquille, on respirerait d’un coup – la langue pèse tant, mâchoire bloquée.
Elle est légère la pluie qui mouille, à l’intérieur ça vibre faiblement, on est mieux ainsi, on n’est pas très bien quand on est secoué.
C’est comme des pièces qui s’en vont les unes après les autres, une fois qu’il n’en reste plus, on l’écrit, l’écrire c’est une résistance, tout n’est pas parti, si tout fout le camp on est bien, nulle part.
Là, les yeux sont plus froids, quand on a peur tout à coup, ça se rétablit, les yeux se réchauffent, ne discernent plus, ne voient pas : éloigné du reste on sent la paix humide qui nous touche.
La peine on la dit, elle ne passe pas à côté, elle nous raccroche encore au monde.
Quand on a peu d’émotions, on s’attache aux choses, elles résonnent, on fait les mêmes gestes pour s’habituer à soi, à la fin on quitte l’étrangeté d’où on était parti, le ciel n’est pas sorti de sa couleur.
Ludovic Degroote, La Digue, Éditions Unes 1995, (épuisé), pp. 63 à 65
[à suivre : épisode 14/14 vendredi 25 novembre 2011] - un fichier PDF sera proposé avec ce dernier épisode, reprenant l'intégralité du texte. Une publication est envisagée ultérieurement chez publie.net