Arnaud Cathrine s’est invité, en cette rentrée littéraire, sur un terrain critique qui, après de décennies de récoltes, s’avère aujourd’hui assez peu fertile. Celui où l’on parle des livres qu’on aime, où on donne parfois son avis sur la littérature en général, en mettant en avant une légitimité obtenue après quelques années sur la scène littéraire. L’espace est donc bien occupé, aussi bien par la tradition que par quelques contemporains. Mais ici, il est aussi question d’amour, d’une fureur de vivre littéraire qu’il est vain d’essayer d’éteindre. D’amour et d’autoportrait (et non d’autobiographie) car parler de ce(ux) qu’on aime, tenter de les décrire, d’en raconter les subtilités, c’est aussi s’écrire, avouer les rouages des influences, des clins d’œil et des orientations esthétiques. Nos vies romancées (Stock), ce n’est pas « mes » ou « ses » vies, mais bien celles qui exacerbent un rapport à l’autre.
L’aventure amoureuse
Contrairement à Beigbeder (Premier bilan après apocalypse, Gasset), qui construit son texte comme une tentative de dépassement de l’extinction du livre causée par le tout-numérique, ou à Bégaudeau (Tu seras un écrivain mon fils, Editions Bréal), qui formule un discours sur la critique littéraire en tous genres (notamment celle qui s’évertue à dire du mal de ses livres), Arnaud Cathrine choisit la voie du « livre de chevet », ces ouvrages qui, où qu’on soit, restent toujours à portée de main. Six livres qu’il a fallu sélectionner parmi d’autres coups de cœur et qui donnent accès, d’abord, à six auteurs, à six destins, parfois oubliés, souvent singuliers : Franckie Adams de Carson Mc Cullers, Tout le monde est infidèle de Françoise Sagan, Fragments du discours amoureux de Roland Barthes, Mars de Fitz Zorn, Anéantis de Sarah Kane et Bonjour Minuit de Jean Rhys.
Jeux de miroirs
Arnaud Cathrine est un auteur qui fuit devant la confession. Les thèmes qu’il développe dans ses romans (la disparition, le deuil, la présence-absence) sont souvent l’occasion de virées vers l’intime qui ne sont pas si faciles à porter dès lors qu’on doit « vendre » son ouvrage. C’était d’autant plus vrai pour Le Journal intime de Benjamin Lorca qui revenait sur le suicide d’un écrivain. La délicatesse et la finesse, « l’élégance de la pudeur » comme j’ai pu le lire ailleurs, qui le définissent si bien l’obligent face à cela à quelques contournements. Le détour critique, on l’a déjà esquissé : évoquer des auteurs et des œuvres marquantes lui sert à formuler un discours sur la littérature et sur soi, fondé sur le désir et sur une volonté de vivre, un peu comme le formulait il y a un siècle Rilke à destination de son « jeune poète ». On n’entre jamais dans l’étude de cas : Arnaud Cathrine est un écrivain, non un théoricien des lettres. Nos vies romancées n’est pas une construction stricte ayant pour sujet quelques ouvrages, mais le moyen d’exprimer cette idée de la littérature. Alors, en parlant de livres, de leur auteur et de quelques moments de sa propre existence, Arnaud Cathrine se fait un peut l’héritier des écrivains qu’il convoque. Les six textes critiques, qui sont autant de chapitres, ont l’apparence du disparate. Qu’on ne s’y trompe pas, toutefois : ils sont liés de manière logique par l’apprentissage (reconstruit sur le fil du temps) d’Arnaud Cathrnine lui-même pour finalement dessiner son propre portrait. Celui d’un écrivain mature, en lecture, en écriture, en littérature. Un autoportrait, en somme. En cela tient peut-être la réussite d’un texte qui n’a pas l’obscurantisme d’une étude littéraire et l’inaccessibilité du récit intime, tout en parvenant à se faire, comme le présente l’auteur lui-même dans sa préface, « personnel ». Exprimant une vie, une identité et, surtout, un visage.