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En roue libre

Par Gerardciefi

L’écriture d’un road-story pourrait s’apparenter à une gageure. Il serait aisé de s’emmerder comme on peut l’être au cours d’un voyage un peu long, quand défile sous nos yeux les paysages monotones qu’on devine depuis l’autoroute, quand on  s’inscrit volontairement dans l’intermède aseptisé, entre un avant qu’on quitte et un après vers lequel on se rend, avec tous les espoirs, toutes les envies et les attentes qui vont avec. La réussite paraitrait d’autant plus difficile à atteindre que face à son faux-frère cinématographique, il manque au road-story une donnée fondamentale : l’image.

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Le protagoniste du récit de Christian Oster (Rouler, L’Olivier), Jean, chemine sans but et sans destination. Tout juste souhaite-t-il quitter quelque chose (il est parti sur un coup de tête), tout juste a-t-il choisi de se diriger vers Marseille, attiré par le son qu’elle fait chanter, non par la destination qu’elle peut représenter. Rouler, simplement. Pas grand-chose à se mettre sous la dent, donc : pas, a priori, de péripéties, pas vraiment d’histoire ou de dynamique diégétique. En même temps, tout se passe dans l’espace confiné et sécurisé de l’habitacle d’une voiture, au cœur d’un mois de juillet qui pousse les vacanciers sur les aires de repos de l’A6, puis sur les plages d’Hyères. Bien évidemment, il n’est pas question dans ce court roman de sables et de galets, de tables de pique-niques, de brasseries bondées et de brasses coulées dans la piscine d’un camping quatre étoiles. On serpente sur les routes du Massif Central, des Cévennes et de l’arrière-pays provençal. On est immergé dans des paysages que l’on ne voit qu’à partir de mots qui (et c’est la grande force du récit d’Oster) représentent si bien l’attitude que nous adoptons devant un décor qui défile sous nos yeux : on en évalue les changements au fil des kilomètres, les aspérités, et on juge comment un village se plante au milieu d’eux, comment les maisons s’agglomèrent autour d’une église, au-dessus d’une rivière ou au pied d’une colline. On constate alors, derrière les vitres teintées qui nous coupent un peu d’un soleil estival et empêche aussi tout rapport intime avec le paysage, on relève comme des géographies froides, des cités souvent banales qui vivent au même rythme que les endroits que nous connaissons : sans toujours avoir le temps de les décrire dans le détail (et donc de se donner la possibilité de s’en souvenir durablement), on se confronte à la configuration sommaire de l’occupation du territoire.

je m’égare. Rouler est le nœud du récit, son sujet, sa raison d’être et son vecteur narratif à la fois. Le roman se construit au rythme de la reconstruction d’un être parti à la suite d’une rupture et d’un décès. De l’errance volontaire, conséquence d’une claque dont Jean veut ressentir la douleur sur chaque nerf de la joue, on avance donc vers une histoire. De l’ignorance et de l’impassibilité du personnage, on chemine vers une psychologie, retrouvée et changée. Car au fil des pages, des péripéties se présentent, d’abord comme simple déviation dans le trajet de Jean avant de devenir les socles d’un roman dont la densité se gagne progressivement : l’homme qui s’étouffe dans sa chambre d’hôtel n’est qu’une alerte ; le couple d’autostoppeurs n’est que la cause d’un retard pas plus important que lors d’un ralentissement sur le périphérique d’une ville de province. L’arrivée, fortuite et impromptue, de Claire, offre déjà plus de consistance au texte : elle range ses affaires dans le coffre de la berline, mange avec Jean, dort dans le même hôtel, l’oblige à avoir des conversations. Elle devient un véritable compagnon de route, envahissant, encore, mais attendrissant. Enfin, c’est aux alentours d’Arles que tout va s’accélérer.

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Malgré son refus premier, Jean accepte l’invitation d’un ancien camarade de lycée, Fred, à le rejoindre dans son château-chambres d’hôtes occupé par des vacanciers à la fois lisses et énigmatiques. Sans qu’on s’en rende compte d’abord, Jean s’intéresse, scrute ce petit monde et se lie d’amitié avec Ségustat : il s’est engagé dans la voie qui le ramène doucement à la vie. Il serait malvenu, je crois, de donner plus d’éléments de cette histoire qui se construit au fil des kilomètres mais dont on ne perçoit la densité qu’à l’arrêt. L’errance nous mène vers un nouveau départ, vers ce « premier temps » qui ponctue le roman.

Viendrait presque à nous le regret d'être ainsi laissé sur le bord de la route.


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