Le peu de lecteurs que compte mon blog à ce jour a bien compris l’amour que je porte à l’œuvre de François Mauriac. A certaines époques de ma vie, ses romans (avec Thérèse Desqueyroux, Le Désert de l’amour et Les Anges noirs en tête), ses chroniques (celles, d’abord, qui ont été réunies pour faire les Mémoires intérieurs et les Nouveaux mémoires intérieurs) ou ses poèmes (Le Sand d’Atys, surtout !) m’ont accompagné. Là n’est pas vraiment le sujet et il sera temps d’y revenir un peu plus tard, peut-être à l’occasion, qui sait ?, d’une nouvelle publication comme ses spécialistes ont pu nous gratifier ces deux ou trois dernières années. Bref, le propos n’est pas l’œuvre de Mauriac, ou plutôt, si elle peut en être l’origine, elle n’en est pas la finalité. Je m’explique : on connaît tous François Mauriac l’académicien, le prix Nobel, le journaliste engagé, le catholique instable ou le critique acerbe. L’autre « particularité » de François tient en Mauriac. Si la postérité l’a placé au panthéon artistique, son œuvre s’inscrit dans une filiation extrêmement fertile en auteurs. Son père et son grand-père étaient, à leur façon, des lettrés dont les plumes ont été conservées dans le « Livre de Raison » de Malagar.
C’est ici que j’en arrive au livre qui, récemment, a retenu mon attention : Claire est le sujet d’un roman rédigé de la main de sa fille, Anne Wiazemsky, qui est pour nous l’énième bourgeon dans l’arbre généalogique des Mauriac. Dans son dernier texte (Mon enfant de Berlin, Gallimard), paru en 2009, elle y évoque les années de sa chère mère comme ambulancière pour la Croix-Rouge, d’abord pendant la Seconde Guerre Mondiale, puis dans un Berlin ravagé par les bombardements alliés. Elle y explique le caractère fort et moderne de Claire, sa santé fragile et la rencontre avec Yvan, un prince russe dont la famille perdit tout privilège lors de la Révolution d’Octobre. Le décor, tout comme la teneur du projet, est donné dès les premières pages de l’ouvrage : « En septembre 1944, Claire, ambulancière à la Croix-Rouge française, se trouve encore à Béziers avec sa section. Elle a vingt-sept ans, c’est une très jolie femme avec de grands yeux sombres et de hautes pommettes slaves. Si on lui en fait le compliment, elle feint de l’ignorer, ou alors fugitivement et toujours avec méfiance. Elle souhaite n’exister que par son travail depuis son entrée à la Croix-Rouge, un an et demi auparavant. Son courage moral et physique, son ardeur font l’admiration de ses chefs ». On reconnaît dans le roman la fille décrite par Françoise dans ses correspondances, cet être en retrait du giron familial qui réussit à lui imposer un mariage avec un homme d’une autre confession que la sienne (mais, contre l’image qu’on peut encore avoir de lui, Mauriac était un intellectuel qui s’occupait de la couleur des âmes, non de leur étiquette religieuse), qui sait agacer son père, mais aussi imposer sa grande charité. On reconnaît aussi un contexte historique, celui d’une Europe qui peine à se reconstruire et d’une Allemagne dont on a oublié les victimes. Pour les plus jeunes, les descriptions des ruines berlinoises est peut-être une découverte. Que reste-t-il, toutefois, au-delà de l’intérêt que tout « mauriacien » ou que tout historien peut trouver dans cet ouvrage ? Pas grand-chose, à vrai dire.