Au bout des chemins

Par Gerardciefi

Nestor rend les armes (Sabine Wespieser éditeur)

Nestor vit dorénavant dans sa petite maison, trop étroite pour son corps devenu gras et encombrant. Il visite chaque jour sa femme à l’hôpital. Elle est entrée dans un coma profond. Personne ne sait si elle en ressortira, s’il y aura des séquelles. Passage après passage, au fur et à mesure des conversations avec le personnel hospitalier, les chances s’amenuisent toutefois. Alors Nestor sent la solitude l’envelopper, ou plutôt le retrouver. En vue de préparer l’inévitable, il se replonge dans les papiers de leur vie, à Marina et à lui, dans la correspondance de sa femme avec Maria, sa meilleure amie, dans la mort tragique de leur enfant, Margarita, dans leur exil précipité d’Argentine. Il est difficile si tout part en lambeaux, si tout se délite par la force des choses, ou si le passé lui revient par bribes, après une longue période d’enfermement, de claustration dans une cage de colère. Reste que Nestor se laisse, lui aussi, porté vers sa propre fin. Son corps, chaque jour rempli de manière presque chirurgicale, de fait l’unique rempart à une vie lourde, si lourde à porter. L’intervention d’Alice, le médecin qui s’occupe de Marina, lui permet, en ce sens, de se libérer, de cheminer vers sa mort.

Marginaux

On connaît la Clara Dupont-Monod, chroniqueuse littéraire de La Matinale de Canal Plus ou pour les Affranchis de France Inter. On connaît certainement sa justesse critique. On apprécie sa volonté, sensible, de chercher le sens d’une œuvre, même au cours d’une intervention de deux ou trois minutes, là où d’autres se seraient bornés à nous dire « ce livre raconte cela », « c’est plutôt bien foutu », en ponctuant leur pseudo-critique par des épithètes vides de signification parce que renvoyant à un sentiment éminemment subjectif. On connaît un peu moins la Clara Dupont-Monod romancière et je dois avouer qu’aucun de ses textes précédents ne m’était jusque-là arrivé entre les mains. J’ai juste pu remarquer, en lisant des résumés dans divers magazines et sites internet, qu’elle s’évertuait à mettre en scène des caractères marginaux. J’ai donc aujourd’hui rattrapé mon retard, pour un sentiment que je qualifierai volontiers de… mitigé.

Finesse…

La déliquescence de la vie de Nestor est rendue avec brio, avec la finesse et la justesse d’une plume qui ne traite pas de manière convenue les thèmes abordés (la mort, la perte, l’isolement, l’exil). Tout est fait par touches successives, donnant presque un ton presque impressionniste à l’ensemble. L’atmosphère, comme aseptisée, nous redonne l’impression d’une douleur mal vécue, endormie par des médicaments prescrits à dose de cheval. On sent presque la souffrance se réveiller au fur et à mesure que la mort approche et que les souvenirs remontent à la surface. Alice, le médecin, l’aide à domicile, puis l’amie intervient comme au cours de soins palliatifs. Elle se fait alors l’héritier d’une vie qui demande encore à être recomposée dans les cahiers familiaux. Tout cela est réalisé avec doigté, de même que le corps imposant de Nestor qui fait front avant de se briser.

… et largesse

J’achoppe toutefois sur la structure finale du texte : pourquoi ces trois issues ? Pourquoi ne pas les faire coexister dans un seul et unique dénouement ? Le caractère péremptoire des titres (des « issues », justement) leur donnent un aspect fermé, hermétique les uns par rapport aux autres. Pourtant, à la lecture, les éléments se mêlent aisément et on voit parfaitement comment les éléments narratifs présents (la mort de Nestor, la preuve d’amour donnée à Alice et la vie de Maria en Argentine) auraient pu interagir. Là, l’auteur nous laisse devant un chantier, devant un texte qui cherche encore son point d’aboutissement. La déchéance, la renaissance et la subsistance ne sont pas des états stables, ce me semble. Ils auraient pu avoir voix au chapitre, parallèlement, simultanément, conjointement : ensemble. Je suis un fervent défenseur des appels de l’auteur vers son lecteur, à sa volonté, plus ou moins affichée, de jouer avec lui et de le prendre en compte dans la construction du sens. Je trouve plus douteux dès lors qu’il semble convoqué par défaut, faute de mieux et quand tout se fait a contrario de l’esthétique même du récit qui le précède. Ce qui aurait pu être une vraie subtilité d’écriture porte l’effet de style et de structure comme un fardeau. Il vient noyer l’atmosphère, brutale et médicamentée, qui respecte si bien jusque-là le propos de l’histoire. L’auteur révèle presque la mécanique de sa propre écriture, au point de nous décevoir.


Nota bene

Je me suis demandé depuis ma lecture s’il n’y avait pas quelque ambition esthétique qui m’échappait ici et si ma connaissance somme toute limitée de l’œuvre de l’auteur n’était pas un frein à ma bonne compréhension de cet ouvrage. Si j’en doute, je me dis qu’un tel constat est l’occasion d’ouvrir ma critique au dialogue, à la reprise, voire à l’effacement.