Cinquante kilomètres de Paris, ce n’est pas la mer à boire, mais il faut tout de même faire le voyage jusqu’à Meaux. Ensuite, trouver l’endroit .. . et le moins que l’on puisse dire, c’est que la signalisation est discrète. Enfin, en prenant la route de Soissons, juste à côté de l’immense monument de marbre blanc commémorant le sacrifice des Américains, on trouve le musée en fait situé à côté des lieux où se sont déroulées les deux Batailles de la Marne. Un geste d’architecture, dû à Christophe Lab, un immense blockhaus rectangulaire en porte-à-faux dominant la vallée, avec une vue imprenable. Impressionnant !
Pénétrer dans le bâtiment vous met déjà dans l’ambiance de recueillement nécessaire pour tenter de s’imprégner de cette guerre européenne fratricide, insensée, épouvantable, mère d’un siècle de violences …. et plus car affinités.
Tout commence par un morceau de pain. Sec. Un morceau du pain du siège de Paris, fin de la guerre franco-prussienne de 1870, qui enleva à la France l’Alsace et la Lorraine et implanta dans tous les esprits le désir incommensurable d’une prompte revanche. On éduque les enfants, on leur apprend la gymnastique, on forme les soldats auxquels, la prochaine fois, ne manquera aucun bouton de guêtre.
Quarante quatre années après la défaite, les soldats partiront pour Berlin la fleur au fusil, avec des pantalons de couleur rouge (garance)…et se retrouveront au bout de quelques semaines piégés dans des trous à rats.
Ici, on touche immédiatement du regard les différences essentielles entre les systèmes allemand et français. Comme le démontre avec acuité François Cailleteau dans son livre « Gagner la Grande Guerre », hélas absent de la librairie du musée, cette guerre sera résolue par le déséquilibre des forces économiques en présence. Et on voit tout de suite qu’au début, les Allemands sont mieux organisés en confrontant les deux styles de tranchées face à face. Chez les Français : des branchages disposés en fascines, comme sous Louis XIV ou les Napoléons. C’est étroit, boueux, menacé d’effondrement. Chez les Allemands, on bétonne, c’est drainé, bien plus net, fonctionnel…
En revanche, on a disposé côté à côte les canons de 75 français et de 77 allemand. Le français est plus léger, plus précis, plus maniable. Mais tous les calibres ont à peu près la même portée maximale : 12000 mètres. Seule la Grosse Bertha (que les Allemands ont surnommé le long Max) tire jusqu'à 140 kilomètres.
Car l’originalité de ce musée, construit autour de l’extraordinaire collection personnelle (50 000 objets) de l’historien Jean-Pierre Verney, c’est de mélanger les visions des deux camps, comme autant de victimes de la barbarie universelle.
Jamais je n’ai vu autant d’uniformes complets (il y en a 200 !), d’une incroyable diversité, jamais n’a été réunie une telle quantité d’objets de la vie quotidienne, assez semblables pour les deux adversaires, et que l’on ne peut distinguer que par la langue.
Et pour l'armement ou la protection, on en revient à des dispositifs - cuirasses et casse-têtes - qui font penser au Moyen-Âge, tandis que des maisons réputées comme Burberry's - créateur du trenchcoat ou manteau de tranchées - proposent de tenues de combat pratiques et élégantes....
Ce musée, dont tout est sous-titré en français, anglais et allemand ne prend pas l’histoire de ce conflit de façon chronologique, mais par le biais des modifications que la guerre a produit dans la société : la place des femmes dans la production de guerre, la façon de soigner, l’utilisation des troupes coloniales, les difficultés de ravataillement, la place de la religion, les camps de prisonniers, le financement, les prolongements de la guerre dans les conflits actuels.
C’est un passé terriblement proche puisque lorsque l’histoire « remet le couvert » en 1939, ce sont les mêmes uniformes que l’on trouve au début du conflit. Le costume du zouave, c’était celui de mon père lorsqu’il s’est engagé en 1939, au Maroc …
Un musée vivant, intéressant, bien expliqué, qui rend un soupçon de vérité palpable…Un soupçon seulement car rien ne peut rendre tangible la boue des champs de bataille, où toute végétation a disparu, constellée des tâches noires de la poudre et mêlée des restes de cadavres que personne ne peut aller relever. Mais de quoi nous faire toucher du doigt la chance que nous avons, nous et nos enfants, en Europe, de jouir de la paix.
Musée de la Grande Guerre en pays de Meaux, route de Varreddes (77100 MEAUX), ouvert de 10h à 17h30 sauf le mardi. 10€, pour une famille avec 2 enfants de moins de 18 ans : 25€, gratuit pour les moins de 8 ans.