Une vie est une vie. Un principe intangible qui devrait rester commun à tous
au-delà de la légitime émotion qu’un effroyable fait divers a unanimement suscitée.
Et depuis quelques jours, la classe politique s’est emparé du sujet à la limite de la décence. Comme des
charognards. Bien sûr que ce crime est affreux. Je n’ose me mettre à la place des parents, à imaginer leur enfant, cette colère sourde qui pousse dans l’infinie tristesse qui les accompagnera
jusqu’à la fin de leur vie.
Mais je suis également scandalisé par les tentatives de récupération, par ce besoin de prendre immédiatement
des mesures alors qu’il ne s’agit que d’un fait divers, odieux, horrible, mais unique, que ce genre d’assassinat, d’une mineure par un mineur, qui semblerait avoir été suffisamment stable
psychologiquement pour être bon élève malgré un déjà très lourd passé, est quasi-unique dans l’histoire criminelle, absolument pas représentatif d’une quelconque délinquance des mineurs.
Lorsque l’émotion l’emporte sur la réflexion
Vouloir légiférer immédiatement, sur le coup de l’émotion, me dégoûte. Certes, le gouvernement devait
absolument réagir pour faire face à l’émotion de l’opinion publique. Certes, comme l’a dit l’ancienne Ministre de la Justice Rachida Dati sur France 2 le 21 novembre 2011, c’est souvent par des événements spécifiques qu’on peut améliorer le dispositif.
Mais quand même : où va-t-on ? Quelle nouvelle loi va-t-on encore nous pondre ? Dès le début
du quinquennat, dans l’urgence, a été votée une nouvelle loi sur la récidive. Même les spécialistes judiciaires ont bien du mal à savoir combien de lois ont déjà été rajoutées ces dix dernières
années. La énième loi a-t-elle au moins été évaluée pour en déterminer l’efficacité ? Jamais.
Quel est ce principe de précaution qu’on nous ressort à tout bout de champ ? La plupart des crimes sont
rarement de le fait d’auteurs déjà criminels et le taux de récidives est très faible. À ce compte-là, il faudrait mettre tout le monde en prison, on ne sait jamais, vous, moi, chacun étant
potentiellement le germe d’auteur de crime passionnel par exemple.
Mettre systématiquement des mineurs dans des centres de rétention particuliers ? Pourquoi pas, mais
après une mûre réflexion. Pas sûr que pour le cas de cet adolescent, violeur récidiviste, ce fût la panacée : il était loin d’être un dealer ou un braqueur. Il travaillait bien en classe. Ce
n’est pas anormal qu’on ait pu penser que son avenir ne se situait pas parmi cette délinquance-là. Il semblait en bonne santé mentale. Pourtant…
C’est regrettable que ce soit, avec le Ministre de la Justice Michel Mercier, encore un centriste qui
s’occupe de ce sale travail de récupération électorale. Déjà en 1994, Pierre Méhaignerie s’était lancé à l’improviste vers les peines de sûreté incompressibles (loi n°94-89 du 1er février 1994, également signée par déjà Nicolas Sarkozy) à la suite d’un fait
divers particulièrement émouvant.
La loi sur la rétention de
sûreté débattue fin 2007, qui s’était engagée contre certains principes républicains, n’a par exemple jamais été appliquée (aucun criminel condamné ayant terminé sa peine n’a été "retenu").
Ce n’est pas avec une telle excitation législative qu’on évitera de nouvelles Agnès.
Pour autant, cela n’empêche pas toutes les interrogations, toutes les réflexions pour éviter un nouveau
drame. Je suis dans la même incompréhension de savoir qu’un violeur et visiblement, un adolescent ayant une addiction vis-à-vis de l’autre sexe, ait pu se retrouver au milieu d’un internat mixte
classique sans que personne, ni les parents d’élèves, ni les enseignants, ni même les éducateurs (et pas vraiment le directeur de l’établissement) ne soient informés.
La valeur d’une vie humaine…
Ce qui me gêne dans ce débat qui rebondit régulièrement, au gré de l’actualité macabre, c’est qu’on commence
à pervertir les principes les plus élémentaires.
Pour exemple, ce débat dans "Mots croisés" ce lundi 21 novembre 2011 sur France 2. Le juge et ancien député
UMP de Lyon, Georges Fenech (actuel président de la Miviludes), s’est autorisé à dire (et même à confirmer) que pour lui, la vie d’Agnès avait plus de valeur que celle du tueur en série Michel
Fourniret.
Seul, Pierre Lamothe, chef du service médico-psychologique régional des prisons de Lyon, s’est déclaré choqué par une telle hiérarchie. Même Élisabeth Guigou, ancienne Ministre PS de la Justice,
a laissé passer cette idée, mais c’est vrai qu’elle manque vraiment de combativité dans les débats télévisés.
Certes, les criminels doivent être sanctionnés comme l’impose la loi et les juges, mais pour moi, c’est un
principe intangible, une vie reste une vie, quelle qu’elle soit. Il n’est pas question de hiérarchiser entre les êtres humains. Les proches de la victime doivent être soutenus et les coupables
doivent être lourdement condamnés, mais leur vie a la même valeur. Même le pire des assassins peut évoluer vers la rédemption.
Il ne s’agit pas, en disant cela, d’une idéologie (que certains diraient "gauchisante"). Il s’agit tout
simplement d’un des principes fondamentaux, universels, sur lequel se repose la société, les droits de l’homme qui proclament l’égalité de chaque être à la naissance.
Et je vais prendre un exemple pour me faire bien comprendre. Car s’il avait nécessité de réagir à chaque fait
divers, il faudrait peut-être se préoccuper aussi d’autres sujets très sensibles et meurtriers. Et visiblement, il y a des tragédies moins médiatiques que d’autres.
Une autre tragédie mais bien moins médiatique
Au même moment qu’on découvrait avec effroi la terrible destinée d’Agnès, le dimanche 20 novembre 2011 vers
15h00, un jeune homme de 24 ans a perdu la vie, sa tête éclatée par une balle de fusil. Il avait été simplement coupable de s’être promené dans une forêt, sur un chemin à Pourcharesses, en
Lozère, et un vieillard l’a pris pour un …sanglier !
La dépêche du Figaro pourrait même donner la nausée : « L’un des chasseurs, âgé de 75 ans (…), ayant vu quelque chose bouger sur le chemin, a tiré dans la direction à quelques quarante mètres de distance,
atteignant la victime en pleine tête d’une balle de calibre 280 Remington, ont précisé les gendarmes. ».
Des statistiques alarmantes
Si c’était un cas isolé, on pourrait juste regretter sans rien faire, mais il faut savoir que les accidents
de chasse ont engendré de nombreux décès, bien moins que sur les routes, mais il semblerait que ce soit
bien plus que les viols suivis de mort.
(Exercice de simulation de sauvetage en cas d'accident de
chasse).
Rien que depuis le 1er novembre 2011, il y a eu 5 morts, dont deux non
chasseurs, et 2 blessés dans les accidents de chasse. En octobre 2011, ce sont 14 morts et 26 blessés. Depuis le 1er juin 2011, il y a eu 28 morts ; en 2010-2011, 34 morts ;
et en 2009-2010, 26 morts. En dix-neuf saisons de chasse, cela correspond à plus de 500 morts (entre 529 et 547 selon les sources).
Non seulement les accidents mortels sont en augmentation (contrairement à ce qu’affirme l’Office national de
la chasse et de la faune sauvage dans un communiqué le 29 juin 2011), mais ils concernent pour un cas sur dix de simples promeneurs qui sont totalement étrangers à la chasse (de près ou de
loin).
Au-delà des morts, il y a aussi de grands blessés, comme ce malheureux garçon de 13 ans qui faisait son
entraînement de football au stade de Crozet (Ain) et voulait faire de la compétition et qui a perdu son genou broyé par la balle d’un chasseur à proximité, le 29 novembre 2008. Comment est-il
possible de faire cohabiter les chasseurs et les simples promeneurs ou passants ?
Les chasseurs, tous "viandards" ?
Selon Allain Bougrain Dubourg qui l’avait rencontré à sa fondation le 13 décembre 2010, Jacques Chirac se serait montré très remonté contre les chasseurs et aurait dit en substance : « Ceux-là, ils finissent par
m’agacer. Comment peut-on tuer une bête sans défense ? Lors d’un accident de chasse, quand l’un a tiré sur l’autre, je me dis que ça en fait un de moins ! » et de confirmer
ses propos : « Non seulement je le dis, mais je le répète et vous pouvez le dire à qui vous voulez ! ».
Certes, la plupart des chasseurs sont des personnes sérieuses et font attention au danger, respectent les
procédures, bien loin de la caricature donnée par Les Inconnus, mais aujourd’hui, de plus en plus de
familles s’interdisent de se promener dans certains lieux pour éviter tout risque d’accident de chasse.
Pourquoi ne pas réagir dans ce domaine ?
Tant qu’il y a des ministres, comme Nathalie Kosciusko-Morizet pas plus tard que le 17 novembre 2011 à Agnetz, dans l’Oise, département à forte concentration électorale de chasseurs, qui se satisfont de l’unique
mot d’ordre de respecter les consignes de sécurité, rien ne pourrait réellement s’améliorer.
Le jeune ramasseur de champignons en Lozère se trouvait à quarante mètres ! et il est mort uniquement
parce qu’un chasseur voyait un truc bouger ! Sur le terrain, les consignes de sécurité, ce n’est pas forcément l’élément principal à l’esprit d’un chasseur.
S’il fallait réagir et légiférer à la suite de faits divers mortels, il faudrait alors envisager sérieusement
d’interdire définitivement la chasse au moins les jours de congé, week-end et jours fériés, pour permettre aux familles de se déplacer en toute sécurité dans les forêts et ne pas être pris pour
du gibier. En toute sécurité et aussi, en toute quiétude, sans l'angoisse d’entendre des coups de feu au loin et de devoir protéger ses enfants.
Se protéger des fléaux meurtriers
Comprenez-moi bien, il ne s’agit pas de comparer le viol et assassinat d’Agnès à un stupide accident de
chasse. D’un côté, il y a un acte délibéré, qui aurait peut-être pu être évité si les administrations avaient été plus vigilantes (ou pas, l’enquête le dira) ; de l’autre, un homicide
involontaire, imprévu, un accident, qui a même "touché" des personnalités connues (comme Michel Droit).
Cela ne retire donc rien à la nécessaire réflexion qui s’est amorcée avec l’assassinat odieux d’Agnès, mais
la vie de ce jeune homme de 24 ans vaut autant que celle d’Agnès.
Il est tout autant nécessaire que l’on protège la société d’autres fléaux que de ces seuls et très rares cas
de violeurs (trop nombreux malheureusement). Il y a 1,3 millions de chasseurs en France, représentant environ 2% de la population et une densité de deux chasseurs par kilomètre carré. C’est loin
d’être des cas rares.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (22 novembre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Un odieux assassinat.
Rétention de sûreté.
Les chasseurs sont-ils tous comme
ça ?
Des morts
sur les routes.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/agnes-son-violeur-et-les-chasseurs-104779